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Commentaires sur le projet d’un standard pour des obligations eau-climat

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Date de publication: 
Mercredi, 27 Janvier, 2016
Par: 
Thierry Uso

Les promoteurs du projet d’un standard pour des obligations eau-climat ont lancé une consultation auprès des émetteurs, souscripteurs et acheteurs potentiels de ces obligations. Ce projet est passé totalement inaperçu en Europe. Il apparaît dans un contexte d’endettement des Etats et des collectivités locales et territoriales qui réduit leur capacité à financer des projets liés à l’eau1. Les commentaires ci-dessous ne visent pas à « améliorer » le standard dans le cadre de la consultation mais à expliquer pourquoi celui-ci doit être rejeté.

Objectif déclaré et objectif réel du standard pour des obligations eau-climat

L’objectif déclaré est de développer le « marché d’obligations vertes qui encourage les investissements pour une économie bas-carbone et résiliente au climat » en fournissant aux investisseurs des « critères vérifiables et scientifiques pour évaluer des obligations liées à l’eau »2.

Le caractère « bas-carbone et résilient au climat » des obligations eau-climat importe peu aux investisseurs. Ceux-ci sont avant tout intéressés par des obligations dont les émetteurs sont fiables et qui leur rapportent le plus d’argent dans une période de temps la plus courte possible, grâce à un marché « liquide », c’est à dire permettant la spéculation. L’objectif réel du standard pour des obligations eau-climat est de développer un tel marché. Les obligations eau-climat respectant le standard doivent fournir aux investisseurs « une opportunité d’investissement comparable à celle des obligations non vertes », « la fiabilité des cash flows prévus », et être « suffisamment rémunératrices et liquides »3.

Qui sont les promoteurs du standard pour des obligations eau-climat ?

Le consortium du standard pour des obligations eau-climat est constitué de think tanks majoritairement US agissant dans le domaine de l’économie et de la finance verte (WRI, CERES, CDP, Climate Bonds Initiative) et dans le domaine de la gestion de la ressource en eau (AGWA). Les fonds d’investissement, les banques et les entreprises privées sont sur-représentées dans ces think tanks. On y trouve aussi des représentants d’institutions internationales comme l’OMC, l’OCDE, la Banque Mondiale.

Les think tanks du consortium ont une vocation internationale et pour cette raison il y a aussi des européens dans leurs comités de pilotage, leurs conseils d’administration ou leurs staffs : par exemple, des représentants de l’institut suédois SIWI (organisateur de la World Water Week à Stockolm), de la société de conseil d'origine hollandaise Arcadis (une des pires dans le domaine de la financiarisation de la nature). Le français Pascal Canfin, ex-député européen et ex-secrétaire d’Etat au développement, est Senior Advisor on International Climate Affairs pour WRI. Lorsqu’il était secrétaire d’Etat, Pascal Canfin s’était fait connaître des mouvements français pour l’eau en déclarant soutenir de manière inconditionnelle les entreprises françaises de l’eau dans leur conquête de marchés dans les pays en voie de développement. Après avoir démissionné de son poste de secrétaire d’Etat, il a présidé en 2014 le comité scientifique de l’indice Euronext Low Carbone 1004.

  • 1. L’endettement des Etats et des collectivités locales et territoriales a conduit les USA à réformer le financement de ses infrastructures hydrauliques par des obligations publiques dans un sens très favorable au secteur privé. Voir la série d’articles de Truthout: guerres de l'eau et privatisation rampante, les grands acteurs de la privatisation de l'eau
  • 2. « green bonds market that encourages investments for a low carbon and climate resilient economy » [...] « verifiable, science-based criteria for evaluating water-related bonds » (p. 3)
  • 3. « a comparable investment opportunity relative to non-green-labeled bonds », « reliability of expected cash flows », « sizable and liquid » bonds (p. 8)
  • 4. Parmi les 100 entreprises européennes « bas-carbone » de l’indice Euronext low carbon 100, on trouve une forte proportion d’entreprises financières et bancaires dont la BNP (championne française des paradis fiscaux et du financement des énergies fossiles), des constructeurs automobiles (Peugeot, Renault), des entreprises de BTP (Bouygues), des entreprises chimiques (Bayer) et un opérateur privé de l’eau (Severn Trent). La BNP propose par ailleurs un fonds indiciel côté basé sur cet indice Euronext

Financiarisation de la nature

Le marché des obligations vertes dont le marché des obligations eau-climat est un sous-ensemble ne peut exister que dans le cadre de la financiarisation de la nature. Ainsi les écosystèmes sont définis comme des « infrastructures naturelles » (p. 44) produisant des « services » (p. 6). Ces « infrastructures naturelles » et ces « services écosystémiques » sont quantifiés, évalués (valorisation monétaire) et comparés aux « infrastructures vertes et hydrauliques » et aux services environnementaux résultant des activités humaines. Quantification, évaluation et comparaison ne peuvent être qu’artificielles compte-tenu de la complexité du fonctionnement des écosystèmes subissant ou non des projets eau-climat ainsi que du temps long de leur évolution; quantification, évaluation et comparaison n’existent que pour les marchés financiers. La financiarisation de la nature entraîne plusieurs effets pervers tels que l’accaparement des écosystèmes et des infrastructures par le monde de la finance1 et le recours au mécanisme de compensation comme solution privilégiée au changement climatique, à la perte de zones humides et de biodiversité2.

Eau et climat

Un projet lié à l’eau n’est éligible au standard pour des obligations eau-climat que s’il contribue à l’atténuation ou à l’adaptation au changement climatique. L’unique cause du changement climatique considérée est l’accumulation dans l’atmosphère de gaz à effet de serre (GES). Les projets liés à l’eau devront donc soit diminuer les émissions de GES dans l’atmosphère, soit augmenter leur stockage, soit s’adapter aux inondations et sécheresses résultant du changement climatique (p. 8). Le cycle de l’eau n’est pas perçu comme un élément déterminant du climat. Les projets de type « New Water Paradigm » qui visent à restaurer un « bon » cycle de l’eau et à lutter ainsi contre le chaos climatique sont de fait peu ou pas compatibles avec le standard pour des obligations eau-climat.

Projets éligibles au standard pour des obligations eau-climat

Certains des projets considérés comme éligibles au standard pour des obligations eau-climat posent de graves problèmes environnementaux et/ou sociaux : transferts d’eau inter-bassin, barrages hydroélectriques, recharges artificielles des nappes, désalinisation, digues, etc. Les projets de fourniture d’eau à l’industrie minière sont également considérés comme éligibles ! Tous les projets nécessitent l’emploi de technologies coûteuses dont certaines sont fortes consommatrices d’énergie. Il est à noter que les barrages qui sont donnés en exemple (Himalaya, bassin du Mékong) sont de véritables catastrophes écologiques et affectent les conditions de vie des riverains (p. 6).

Critères d’évaluation des obligations eau-climat

Les agences de notation financière mais aussi sociale et environnementale sont totalement discréditées depuis la crise des subprimes de 2008 suivie de la crise de la dette en 2010. En proposant des critères « scientifiques » d’évaluation des obligations eau-climat, les promoteurs du standard essaient de convaincre que la notation sera objective et non pas subjective comme avec les agences de notation existantes. C’est faux. Pour s’en convaincre, il suffit de lire comment sont élaborés les critères (paragraphe 4, p. 16-29). La définition des catégories de projet (p. 18) et leur rôle dans l’atténuation et/ou l’adaptation sont totalement arbitraires, comme la définition de seuils supérieur, acceptable et non acceptable. On retrouve l’habituel bricolage de l’ingénierie financière amplifié par les a priori des « experts » du groupe de travail technique (annexe G, p. 50) sur les relations entre le climat et l’eau.

Droits humains liés à l’eau

Le consortium reconnaît que des projets éligibles au standard pour des obligations eau-climat pourraient ne pas respecter les droits humain liés à l’eau et entraîner des « risques sociaux pour les émetteurs, les souscripteurs et les acheteurs d’obligations »3. Néanmoins, le consortium n’envisage pas d’incorporer dans son standard des critères fondés sur les droits humains liés à l’eau. Il propose plutôt de s’appuyer sur des standards existants qui incorporent ces critères, en complément de son propre standard (p. 3). Il est demandé aux émetteurs d’obligations d’appliquer ces standards complémentaires et aux acheteurs d’obligations de vérifier que l’émetteur les applique. Le consortium cite plusieurs de ces standards, notamment la déclaration de l’Assemblée Générale de l’ONU sur les droits humain à l’eau et à l’assainissement (p. 42) et le « Hydropower Sustainability Assessment Protocol » de l’International Hydropower Association (p. 43). Notons que les droits humains à l’eau et à l’assainissement tels que définis par l’AG de l’ONU ne sont mis en œuvre quasiment nulle part et que la Banque Mondiale finance régulièrement des projets qui violent ces droits4. Quant au « Hydropower Sustainability Assessment Protocol », les populations affectées par les barrages hydroélectriques le considèrent comme un outil au service des constructeurs de barrages qui ne défend nullement les droits des populations.

  • 1. L’accaparement des écosystèmes et des infrastructures par le monde de la finance est déjà plus ou moins à l’oeuvre dans les marchés de droits de prélèvement d’eau tels qu’ils existent actuellement aux USA, en Australie, au Chili et en Espagne.
  • 2. La Caisse des Dépôts et Consignations, banque française publique d’investissement, gère via sa filiale CDC Biodiversité un fonds d’investissements dont l’achat de parts permet de compenser la perte de zones humides et de biodiversité. La NWB, banque néerlandaise publique d’investissement a un produit financier similaire. Le projet de loi relatif à la biodiversité qui se discute en France pourrait introduire la notion de réserves d’actifs naturels et par là même pérenniser le mécanisme de compensation par les marchés financiers.
  • 3. « social risks for issuers, underwriters and bond buyers » (p. 42)
  • 4. La Banque Mondiale finance des projets eau-climat via sa filiale International Finance Corporation. Après avoir été un partisan inconditionnel de la privatisation totale des services publics, la Banque Mondiale défend désormais le partenariat avec le secteur privé et finance de plus en plus de projets relevant d’un partenariat public-privé.

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