IntagPeut-on agir pour la décroissance depuis le Sud ? Cherche-t-on, en Amérique latine, à atténuer l’empreinte du métabolisme de nos sociétés sur la nature, à ralentir la destruction opérée pour satisfaire les besoins - «vrais» ou «faux», mais toujours croissants - de l’humanité? Dans les pays de la région, au-delà d’un cercle étroit d’universitaires et de militants écologistes, la pensée de la décroissance est largement méconnue et il semble difficile d’imaginer la généralisation de pratiques tournées vers la sobriété et la réduction volontaire d’un niveau de consommation jugé (trop) haut, alors que les besoins vitaux de tous ne sont pas satisfaits et que la promesse du « développement» reste l’horizon à atteindre.
Mais si le mot « croissance » ne fait pas partie du vocabulaire de la grande majorité des latino- américains, les ravages de l’utilitarisme productiviste, sans cesse à la recherche de nouvelles ressources, ont profondément marqué l’Amérique latine. Son rôle dans « la division internationale du travail » - circonscrit à l’extraction et à l’exportation des « préciosités » (métaux précieux et produits agricoles de luxe) d’abord, puis de matières premières et agricoles en général [1] - n’a pas sensiblement évolué depuis la colonisation. Les politiques néolibérales mises en place suite à la crise de la dette ont achevé la ré-primarisation des économies, devenue un « état de fait » auquel il semble impossible d’opposer une alternative. Exploitations minières et pétrolières, grands barrages hydroélectriques, monocultures industrielles et forestières…, depuis les années 1990, le nombre de projets d’exploitation de la nature ne cesse de croître, avec leur lot de conséquences environnementales et sociales désastreuses pour ceux dont ils annexent les espaces de vie.
« Le modèle occidental » et le « pillage des ressources du Sud » sont dénoncés depuis longtemps par les mouvements populaires et les organisations militantes, mais aussi, aujourd’hui, par certains gouvernements « progressistes ». Le discours sur la responsabilité du Nord, aussi légitime qu’il soit, est en même temps relativement confortable (« c’est au « Nord » d’assumer la recherche d’une solution ») et surtout peu efficace (quelle solution attendre du « Nord », une entité abstraite, entendue généralement comme « les Etats du Nord », dont les priorités se situent ailleurs ?). Ce discours fait aussi oublier d’autres réalités, pourtant importantes pour pouvoir appréhender le problème dans son ensemble. Pour ceux qui, face à un projet, doivent choisir entre subir ou réagir, ce qui importe, du moins au départ, ce n’est pas tellement de se savoir victimes d’un long processus historique dont « le Nord » porte la responsabilité, mais bien la destruction qu’implique ce projet précis, mis en place sur leurs lieux de vie. De plus, en Amérique latine, sous les gouvernements de droite comme de gauche, l’exploitation des « ressources naturelles » ne répond pas uniquement aux logiques de profit des entreprises transnationales et nationales et à l’impératif de satisfaire la demande des marchés mondiaux. Unique source de revenus concevable, elle conditionne aussi, dans le discours du pouvoir, l’hypothèse de tout « changement » et de justice sociale, les promesses d’un développement pour tous ».