Le modèle du soja en Argentine s'articule autour des « Pools de semis » (pools de siembra), créés dans les années 90 par des producteurs agricoles désireux d'attirer des capitaux. Il s'agit d'associations d'entreprises qui, moyennant la location de grandes extensions de terres, assument le contrôle de la production, l'embauche d'équipes chargées de semer, les fumigations, les récoltes et le transport du produit. Un Pool de semis est donc une réunion de plusieurs personnes, physiques ou morales (entreprises financières, investisseurs - souvent étrangers -, multinationales, ingénieurs en agronomie, administrateurs chargés de coordonner le regroupement et l'exécution des tâches productives, propriétaires terriens, « contratistas », etc.) qui définissent conjointement un plan d'organisation des semailles. Une fois ce plan réalisé, ils mettent en marche un Fond Commun d'Investissement (FCI), dans le but d'attirer des investisseurs. Généralement, quelques mois avant les semailles, les pools commencent à publier des annonces pour louer les terres cultivables à des propriétaires terriens. Il s'agit donc de contrats temporaires qui se terminent une fois la récolte faite. Les producteurs sont appelés à un moment précis à produire sur une terre qu'ils ne possèdent pas et ne connaissent pas forcement. Des contrats sont également réalisés pour louer les services de fumigation, de semailles et de récoltes. Une fois les récoltes vendues, les bénéfices sont redistribués aux investisseurs.
Il s'agit donc d'un système dans lequel les activités de production agricole et d'investissement sont morcelées entre des acteurs très variés, ce qui présenterait - selon les défenseurs des pools - l'avantage de sécurité reposant sur la diversification. Pourtant, l'organisation de l'agriculture en pool de semis favorise la concentration agraire qui a pour conséquence la disparition des petits et moyens producteurs. En Argentine, durant l'année 2003/2004, la monoculture du soja a couvert 14, 2 millions d'hectares, dont 60% des terres gérées par des pools de semis. De plus, notons que la plupart des fermes qui utilisent les technologies « modernes » nécessitent seulement deux travailleurs pour 1000 hectares de terres cultivées. En cela, on peut effectivement parler d'une « agriculture sans fermiers » (Javiera Rulli). L'agro-business a également fait émerger de nouveaux groupes économiques, tels Los Grobos en Argentine (qui appartient à la famille Grobocopatel) ou encore Favero S.A au Paraguay.
Le modèle du soja est tourné vers l'extérieur : c'est un modèle « agro-exportateur ». Le soja est exporté par un petit nombre d'acteurs économiques très puissants. Le marché international est gouverné par des grandes corporations tels que Bunge SA, Cargill ou encore ADM. Ces derniers se sont partagé l'Amérique du Sud. Les principaux marchés destinataires des exportations du soja sont l'Europe, la Chine et les Etats-Unis, pays où le soja importé est principalement destiné à l'alimentation du bétail sous forme de farine ou de tourteaux, s'inscrivant dans le modèle agro-industriel global caractérisé par une haute mécanisation des tâches.
Enfin, l'avènement de l'ère du « développement durable » et la raréfaction des énergies fossiles favorise le développement du marché des agro-carburants. Les principales espèces végétales utilisées pour la production de ces derniers sont le maïs (principalement aux Etats-Unis), le blé (en Europe), le sucre (au Brésil), la palme à huile (en Colombie), etc., et le soja (biodiesel produit à partir de l'huile de soja). En Amérique du Sud, la production du soja est en voie de se destiner de plus en plus à la production des agro-carburants. On voit apparaître en Argentine et au Paraguay tout un appareil législatif visant la promotion des agro-carburants et d'un marché autant interne qu'externe.
L'exploitation du soja en Argentine n'est pas neutre. Elle va de pair avec un modèle agro-industriel particulier, le « modèle du soja » (Jorge Rulli, Grupo de Reflexion Rural, qui dénonce le soja OGM depuis son introduction en Argentine), qui implique l'utilisation des OGM, la forte industrialisation de l'agriculture, l'orientation la monoculture chimiquement intensive et hautement mécanisée, la concentration des terres, le progressif (et fort avancé) verrouillage des filières agricoles par l'agro-business, l'orientation à l'exportation vers les pays du Nord, la déforestation et le dépeuplement des campagnes. Le résultat : des déserts verts où les paysans n'existent plus.
Face à ce modèle, certaines organisations citoyennes et/ou paysannes déploient des résistances. Leurs luttes passent par la dénonciation des ravages causés par le soja, par des manifestations, les occupations de terres, des projections de films, ou encore les « cortes de ruta » (coupures de routes), des recours à la justice en exigeant le respect des droits de l'Homme et des petits paysans. Mais la résistance passe aussi par la construction de savoirs, souvent élaborés en dehors des lieux de pouvoir. Ces productions de savoirs visent à contrer les discours officiels sur l'exploitation du soja et à élaborer des alternatives au modèle dominant. Dans le cas du MOCASE (mouvement paysan de la province de Santiago del Estero), certains militants ont pu tisser des liens avec les universités et participer à la création d'outils pédagogiques leur permettant de mieux comprendre la situation qu'ils vivent et d'être acteurs d'un savoir qui leur est propre, venant se rencontrer avec la connaissance de tradition universitaire. Ainsi, des actions d'éducation populaire ont pu être mises en place.
Le GRR (Grupe de réflexion rurale), collectif animé par Jorge Rulli, cherche, depuis l'arrivée du soja transgénique en Argentine, à décrire les processus socio-agro-économiques dans lesquels s'inscrit l'exploitation du soja, ainsi que les dommages sociaux et écologiques causés par cette dernière. Ce travail s'accompagne d'une réflexion sur la base anthropologique et philosophique qui sous-tend le modèle du soja.
Grâce à cette production de savoirs, il s'agit, notamment, de porter des campagnes adressées à la société dans son ensemble, comme celles qui ont été réalisées contre les fumigations. Enfin, la lutte passe nécessairement par la construction d'alternatives concrètes : développer des cultures diversifiées et biologiques, sans engrais et produits phytosanitaires chimiques, de laisser la possibilité d'exploiter aux petits et moyens producteurs, leur offrir une alternative à la dépendance vis-à-vis des grandes multinationales, à travers, notamment, des coopératives de production. Enfin, dans les pays importateurs, les choix de consommation et les questionnements sur les filières de production globalisées ont également un rôle à jouer.
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