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Intag, Equateur : « Canton écologique » contre une mine de cuivre à ciel ouvert (Fal Mag)

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Anna Bednik
Anna Bednik - FAL Mag 92 - 1er trimestre 2008

Pour la deuxième fois en 12 ans de lutte contre le projet d’exploitation de cuivre dans Intag, les communautés rurales et les organisations environnementalistes de la région sont sur le point de fêter le départ d’une multinationale minière. Au-delà du rejet de la mine, le combat des habitants d’Intag a donné la vie à un modèle de développement basé sur la justice sociale et respectueux de l’environnement, aujourd’hui appliqué à l’échelle du canton Cotacachi. Au moment où l’Assemblée constituante s’interroge sur la direction à donner au pays, l’expérience d’Intag fournit matière à réflexion.

 

« Ici, nous ne permettons pas l’extraction minière », annonce le panneau de bienvenue à l’entrée du village de Junin, petite communauté agricole située au bord de l’une de très nombreuses rivières de la cordillère du Toisán, dans une vallée verdoyante, entourée de forêts nuageuses primaires. Nous sommes dans Intag, un territoire qui s’étend sur près de 1680 km² du nord-ouest équatorien, à la frontière de la Réserve Ecologique Cotacachi-Cayapas et à l’intersection de deux « éco-régions à haute biodiversité » [1], Andes Tropicales et le Chocó.
L’eau et la biodiversité unique de la cordillère du Toisán ne sont pas ses seules richesses. Ses entrailles renferment d’importants gisements de cuivre qui, dès le début des années 1990, intéressent des compagnies étrangères. La première entreprise à conduire des activités d’exploration dans la zone sera la japonaise Bishi Metals, filiale de la multinationale Mitsubishi.
Rapidement, des signes alarmants témoignent de la détérioration de l’environnement, sans que l’amélioration des conditions de vie promise par la compagnie devienne réalité. Lorsque, devant l’insistance des organisations communautaires, l’étude d’impact socio-environnemental de la multinationale est finalement rendue publique, le verdict est sans appel : l’exploitation du minerai entraînera une pollution très importante des sources d’eau et des sols [2], une déforestation massive conduisant à terme à la désertification, la disparition d’une trentaine d’espèces de mammifères et d’oiseaux, ainsi que le déplacement d’entre 100 et 200 familles de quatre communautés, dont l’accord, obligatoire dans la Constitution équatorienne, n’avait jamais été sollicité.
« Nous avons compris que l’activité minière était incompatible avec l’agriculture et notre identité. Nos parents ne nous ont pas transmis cette terre pour que nous laissions la détruire», confie Polivio Perez, aujourd’hui une des principales figures du mouvement d’opposition à la mine. Les organisations de base, appuyées rapidement par une association écologiste locale – la DECOIN [3] - appellent à témoin les structures nationales et internationales existantes et exigent des Japonais et du gouvernement plus de transparence et le respect de leurs droits. Finalement, lassés de voir leurs appels au dialogue sans réponse, en mai 1997, environ 300 hommes, femmes et enfants occupent, puis démontent le campement d’exploration, obligeant les Japonais à quitter la zone.
 
De la résistance aux alternatives
Le démantèlement du campement est plus qu’un geste de colère. Il marque le début de l’appropriation par les habitants d’Intag des questions relatives au type de développement et de société qu’ils souhaitent construire à long terme. Différentes alternatives à la mine sont mises en place pendant les années qui suivent le départ de Bishi Metals : initiatives d’écotourisme solidaire - dont la plus emblématique se trouve dans la réserve communautaire de Junin, au cœur même de la « zone du conflit » - , commerce équitable de produits agricoles et artisanaux locaux - notamment le café biologique [4] -, projets de reforestation et de constitution de réserves communautaires visant à protéger les bassins versants et les forêts, menacées par des entreprises de coupe de bois et par la déforestation due à l’activité agricole extensive. L’information étant très tôt perçue comme le nerf de la guerre, Intag se dote aussi de son propre magazine, écrit par et pour ses habitants, puis d’une bibliothèque qui totalise aujourd’hui quelque 2600 ouvrages.
Les initiatives locales sont depuis le départ soutenues par le gouvernement cantonal et par son dirigeant indigène, Auki Tituaña, élu en 1996 [5]. Devenu un exemple en matière de démocratie participative et de prise en compte des problématiques environnementales, le canton de Cotacachi fonde une « Assemblée d’unité cantonale » qui associe les représentants des communautés à la prise de décisions en matière de développement local et se proclame en 2000 « Canton écologique » en interdisant notamment toute activité commerciale ou industrielle qui « utilise ou menace d’introduire dans l’environnement des substances nocives »[6].
 
Dernière offensive
En 2002, les concessions de Junin sont cependant vendues aux enchères par le Ministère des Mines. Cette vente est facilitée par la modification de la Loi Minière, intervenue en 1999 dans le cadre d’un projet de « développement minier » de l’Equateur [7] , financé par un prêt de la Banque Mondiale et des donations des gouvernements suédois et britannique. «Ce programme visait à déréguler le secteur pour attirer des investissements privés», explique Carols Zorrilla, un des fondateurs de la DECOIN, «depuis, les concessions minières sont devenus objets de spéculation. N’importe qui peut acheter puis revendre une concession, il n’a pas besoin de l’exploiter ! ». C’est ainsi que le premier acheteur des concessions de Junin a pu les revendre en 2004 à Ascendant Copper Corporation [8], une entreprise canadienne « junior » qui possède plusieurs concessions en Equateur mais n’a jusqu’à aujourd’hui exploité aucune mine. « Le rôle de ces compagnies est avant tout de préparer le terrain pour l’arrivée des compagnies plus grandes», commente Carlos Zorrilla, «elles peuvent éventuellement faire de l’exploration, mais surtout elles sont là pour casser la résistance des populations locales ». Dans Intag, les pratiques illégales d’Ascendant Copper et de ses divers sous-traitants, dénoncées par de nombreuses organisations nationales et internationales de défense des droits de l’homme, vont profondément marquer les communautés. Durant quatre ans, harcèlement, menaces et agressions à main armée sont monnaie courante, de même que la technique éprouvée « d’achat de consciences ». Ainsi par exemple, délaissant pour un temps sa vocation minière pour se lancer dans l’agriculture biologique, l’entreprise rémunère les paysans qui abandonnent l’opposition en échange d’un travail dans ses fermes. Selon de nombreux témoins de cette pratique, le travail est quasiment inexistant, alors que la solde mensuelle est largement supérieure au revenu moyen dans la région.
Par des actions « directes » (blocage des routes, destruction d'un campement d'Ascendant en décembre 2005) et des actions en justice  [9], les opposants à la mine poursuivent la résistance. En décembre 2006, une incursion de paramilitaires employés par la compagnie se retourne contre cette dernière : le lendemain d'un premier affrontement (les paramilitaires utilisent gaz lacrymogènes et armes à feu), les paysans arrivent à convaincre leurs agresseurs de rendre les armes, puis les amènent à Junin où ils les interrogent longuement, avant de les remettre à la police cinq jours plus tard. Les preuves collectées et la prise en otage des paramilitaires permettent aux militants d'obtenir la suspension des activités d'Ascendant, prononcée par le gouvernement d'Alfredo Palacio en décembre 2006 et réitérée par celui de Rafael Correa le 2 octobre dernier.

A l'échelle du pays, la mobilisation anti-industrie minière grandit et s'organise. Aux côtés des autres régions en lutte, les habitants d'Intag exigent de l'Assemblée constituante [10] des dispositions légales garantissant aux peuples locaux le droit de «choisir le futur de leurs territoires», ainsi qu'une reconnaissance de leur rôle de « gardiens des biens communs» [11]. La proposition pour la nouvelle constitution de l'Assemblée Nationale Environnementale (A.N.A) [12], récemment remise à l'Assemblée constituante, plaide en faveur d'un modèle de développement social et écologique et exige l'abandon de projets d'exploitation minière à grande et moyenne échelle.

Bien qu'une solution définitive à la dépendance qui lie l'Equateur depuis 40 ans à l'exploitation de ses ressources naturelles ne soit pas encore trouvée, des changements conséquents sont attendus dans le secteur minier. La Loi Minière est en cours de réforme, et le contrôle de l'Etat sur le secteur est en passe d'être sensiblement accru. Le 25 janvier 2008 le Ministère des Mines révoque 587 concessions minières pour défaut de paiement des droits annuels de conservation, et annonce une prochaine révision de l'ensemble des 4112 concessions dans le pays. Les cas des territoires concédés dans des zones protégées, de même que ceux qui donnent lieu à des conflits entre les compagnies et la population devraient être examinés avec attention lors de ce « second round ». La révision durera un an, et aucun nouveau permis ne sera accordé pendant cette période. Pour les habitants d'Intag, cette nouvelle signifie pouvoir enfin se consacrer pleinement à leurs projets de développement. D'autant plus que parmi les permis d'ores et déjà révoquées se trouvent deux des trois principales concessions d'Ascendant Copper à Junin, ce qui rend le retour de cette compagnie dans la zone de plus en plus difficile à concevoir.

Anna Bednik
FAL Mag 92, premier trimestre 2008
www.franceameriquelatine.org/index.php?m=2&idmag=43


Notes:

[1] Le concept d'«éco-région à haute biodiversité» ou « hot-spot », créé par l'écologiste britannique Norman Myers en 1988, est aujourd'hui utilisé par de nombreuses organisations de protection de l'environnement. Les 35 « hot-spots » dans le monde réunissent 75% de mammifères, oiseaux et amphibies en voie de disparition. PNUMA 2005. Lugares Críticos (Hotspots) en biodiversidad. México América Latina y el Caribe
[2] Due notamment au niveau élevé de filtration d'eau caractéristique des écosystèmes des forêts tropicales
[3] Defensa y Conservación Ecológica de Intag
[4] Le commerce équitable de café est l'une des plus anciennes alternatives à la mine développées dans Intag. L'AACRI, Asociación Agroartesanal Café Rio Intag, créée en 1998, regroupe aujourd'hui 300 producteurs.
[5] Dans la division administrative équatorienne un canton est équivalent à un département français. La vallée d'Intag représente plus de deux tiers de la superficie totale du canton de Cotacachi.
[6] Art. 43 de la" Ordenanza que declara a Cotacachi como Cantón Ecológico".
[7] PRODEMINCA : Proyecto de Desarrollo Minero y Control Ambiental
[8] Filiale d'Ascendant Holding Ltd. En 2006, Ascendant conclut un « partenariat stratégique » avec Rio Tinto, pressenti pour reprendre les concessions de Junin.
[9] Dont un procès contre le Ministère de l'Energie et des Mines pour la vente des concessions commencé en 2003 et aujourd'hui porté devant la Commission interaméricaine des droits de l'Homme, une plainte déposée à la Banque mondiale, un procès en préparation contre la Bourse de Toronto.
[10] Depuis la suspension du Congrès le 30 novembre 2007 et jusqu'à l'approbation de la nouvelle Constitution, l'Assemblée constituante est dotée de « pleins pouvoirs » et se situe au-dessus de toutes les autres institutions du pays.
[11] Déclaration du Forum régional « l'Equateur que nous voulons ». Ibarra, Equateur, novembre 2007.
[12] La A.N.A. (Asamblea Nacional Ambiental) regroupe différents réseaux et organisations écologistes équatoriennes. La proposition pour la nouvelle Constitution a été remise à Alberto Acosta, président de l'Assemblée constituante, le 25 janvier 2008.

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