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Yasuní-ITT : un projet impossible pour l'extractiviste Correa

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Date de publication: 
Jeudi, 5 Septembre, 2013
Par: 
William Sacher, universitaire, actuellement doctorant en économie du développement de Flacso-Ecuador, Quito.

Article paru également dans FAL Magazine, automne 2013.

L'initiative Yasuní-ITT est « le projet phare de la révolution citoyenne ». Ainsi s'exprimait en 2010 le président de l'Équateur Rafael Correa, suscitant de sérieux espoirs d'un avenir post-extractiviste au sein du mouvement écologiste global. C'est dire si l'annonce par Correa de l'abandon de l'initiative, le 15 août dernier, a pour le moins été vécue comme un coup de massue par de nombreux réseaux écologistes d'occident et d'ailleurs.

L'examen des politiques menées par Correa au cours des dernières années montrent cependant que ce nouvel écueil de la « gauche » latinoaméricaine était largement prévisible.

Une initiative pionnière

Proposition totalement inédite et ayant reçu un grand soutien populaire, l'initiative Yasuní-ITT consistait pour l'Équateur à se refuser à exploiter une partie de ses réserves prouvées de pétrole en Amazonie (situées dans le parc national de Yasuní) en échange de dons qui seraient venus de l'étranger. L'objectif officiel était de préserver cette partie de l'Amazonie, hébergeant une biodiversité unique sur la planète et le milieu de vie de nombreuses communautés autochtones, certaines étant en « isolement volontaire » (bien que Correa et son gouvernement ont, d'une manière plus réductrice, souvent mis en avant l'intérêt du projet pour la seule lutte contre les changements climatiques).

Lors de la mise en oeuvre de l'initiative en 2007, Correa et son gouvernement avaient fixé un montant minimum à recueillir, équivalent à la moitié de la valeur estimée des gisements : 3,6 milliards de dollars. Le monde était donc soumis à une sorte de chantage : si l'État équatorien ne parvenait pas à récupérer cette somme dans un délai limité (l'échéance a été reportée à plusieurs reprises), le gouvernement serait alors contraint d'aller de l'avant avec l'exploitation.

 « Le monde nous a lâchés » 

Après 5 années d'existence de l'initiative, l'Équateur n'a recueilli qu'une infime fraction du montant (0,3%). Le 15 août dernier, Rafael Correa annonçait au cours d'une allocution spéciale qu'il se devait de renoncer, pour le bien de son pays, à Yasuní-ITT. Le président justifiait cette décision en affirmant que le monde avait « lâché » l'Équateur et son gouvernement, et que le pays a aujourd'hui cruellement besoin de la manne pétrolière pour alimenter son ambitieux programme social. On peut, sans aucun doute, tenir la « communauté internationale » et particulièrement le monde occidental pour coupable de son manque d'intérêt pour ce projet, qui proposait une alternative à l'extractivisme pétrolier sans recourir aux douteux REDD, marché du carbone, et à la logique du capitalisme vert.

Cependant, le fait que Correa et son gouvernement aient cruellement manqué de volonté politique pour porter le projet apparaît également comme un élément déterminant pour expliquer le fiasco de Yasuní-ITT.

Au cours des années passées, alors qu'il multipliait les interventions sur les tribunes onusiennes contre le changement climatique, le président a de façon permanente fait allusion au fameux « plan B », qui consistait à exploiter les champs pétrolifères amazoniens de Ishpingo, Tiputini et Tambococha (ITT) si les fonds requis n'étaient pas récupérés à temps... Résultat : ces signaux contradictoires ont dissuadé les éventuels donateurs qui exigeaient comme contrepartie -on peut difficilement leur en vouloir étant donné la logique de chantage à laquelle ils étaient soumis- l'assurance que l'exploitation n'aurait pas lieu. Ensuite, le fait de confier à partir de 2010 la responsabilité de promouvoir l'initiative à la guayaquilène Yvonne Baki a achevé de brouiller les pistes. L'ex-miss univers était par le passé intervenue à diverses reprises en faveur de Chevron[1] dans le procès environnemental qui oppose cette major pétrolière à des colons et autochtones de l'Amazonie.

Malgré la douloureuse expérience de 40 ans d'exploitation du pétrole en Amazonie, le gouvernement n'a par ailleurs pas hésité, tout récemment, à envoyer ses émissaires de par le monde pour faire la promotion de la XIème campagne de titularisation de blocs pétroliers. Cette dernière incluait nombre de territoires bordant le Yasuní dont l'exploitation est à même d'affecter directement le parc et les populations qui y vivent. Enfin, il convient de rappeler que de nombreuses concessions pétrolières situées dans le parc ont par le passé été attribuées à des sociétés transnationales, et que du pétrole y est d'ores et déjà exploité.

Politique extractiviste

Correa et les multiples gouvernements qui se sont succédés sous ses mandats ont, depuis au moins 4 ans, pratiqué une politique axée sur l'exploitation des « ressources naturelles ». Ils ont notamment parié sur le développement de l'exploitation de l'or et du cuivre à grande échelle -activité dévastatrice d'un point de vue environnemental et social- sur des sites aussi sensibles que la Cordillera del Cóndor, ou encore la vallée de la rivière Íntag, des régions culturellement très riches et présentant une biodiversité exceptionnelle. Le gouvernement a également lancé des projets de grands barrages, parle d'autoriser la culture des OGM, a proposé des lois favorisant la privatisation de l'eau et a promis, pour les années à venir, de rembourser la dette contracté auprès de l'État chinois -dont les intérêts sont désormais omniprésents en Équateur- par des livraisons de pétrole brut.

Nombreuses sont les populations directement affectées par ces projets qui se sont soulevées contre les dépossessions dont elles ont été victimes. Le gouvernement a, de façon périodique, durement sanctionné cet affront au dogme du progrès et du développement en réprimant les manifestations et en criminalisant la lutte sociale. Nombre de militants écologistes, de dirigeants communautaires et autochtones -dont on pourrait volontiers dire qu'ils sont des défenseurs de « l'environnement » et que Correa qualifie systématiquement « d'écologistes infantiles »- font aujourd'hui face à des accusations de terrorisme ou sabotage. Des condamnations à peines de prison -parfois très lourdes- ont été prononcées par la justice équatorienne.

On est loin des espoirs entretenus lors de l'avènement de la nouvelle Constitution en 2008, laquelle intégrait des principes novateurs comme les Droits de la Nature, ou encore le fameux concept du Buen Vivir. Ce dernier est officiellement associé à l'instauration d'une nouvelle relation entre les êtres humain et leur environnement, basée non plus sur l'exploitation, mais sur mais sur le souci de reproduction de la vie dans des conditions de « plénitude ». Malheureusement, malgré son fort potentiel en terme d'alternative au concept de développement, le Buen Vivir tel que promotionné par Correa est aujourd'hui devenu un cadre conceptuel permettant de légitimer la recherche du « progrès » et l'accès à la modernité occidentale, en somme la continuité du capitalisme[2].

Vision prométhéenne

En janvier 2012, Correa déclarait: « nous réformons de manière positive le modèle d'accumulation, plutôt que de le changer. Nous n'avons pas l'intention de porter préjudices aux riches, mais nous avons l'intention de construire une société plus juste et égalitaire »[3]. Dans ce contexte, les grands groupes nationaux – en premier lieu les banques- et le capital transnational sont les grands bénéficiaires de la « révolution citoyenne », le nom donné au projet politique de Correa[4].

La politique de Correa en la matière s'inscrit dans une dynamique commune aux nombreux pays du continent qui ont vu accéder des gouvernements maniant une rhétorique socialiste, voire révolutionnaire. Dans la majorité de ces pays, on assiste en fait à une véritable « re-primarisation » des économies soutenues par des projets prométhéens, mettant certes l'accent sur la redistribution des richesses, mais pratiquant une ouverture à l'investissement étranger (chinois, canadien, chilien, etc.) tout aussi agressive que les gouvernements néolibéraux qui les ont précédés. Le socialisme du XXIème siècle apparaît -de ce point de vue au moins- comme un véritable « néolibéralisme reconstruit »[5].

À l'image de l'Équateur, c'est tout le continent qui est engagé dans une poursuite active de la modernisation capitaliste. Le projet néolibéral correspondait à une nécessité d'ouvrir de nouvelles opportunités d'investissement en favorisant -comme l'a théorisé le géographe David Harvey- l'accumulation par dépossession[6] des peuples latinoaméricains, avec en particulier des privatisations sauvages d'actifs publics. On peut, de ce point de vue, concevoir la « vague rose » latinoaméricaine comme une suite logique de l'époque néolibérale. En effet, pour faire fructifier ces actifs mal acquis, les capitalistes avait besoin d'un État fort, offrant notamment une relative stabilité politique et des garanties à l'investissement, et seul prêt à s'endetter pour la construction des grandes infrastructures (e.g de transport et énergétiques) indispensables au développement de grandes exploitations extractives.

Un échec qui fera date

Maintenir l'initiative Yasuní tenait ainsi, pour Correa, de la quadrature du cercle. Forcé de choisir entre une initiative qui pouvait engager la transition vers une société post-extractive et la poursuite de la vente à bon marché des extraordinaires « ressources naturelles » du pays aux intérêts transnationaux, Correa a donc logiquement choisi la seconde solution. Il s'est ainsi débarrassé d'une icône encombrante. Cet échec fera malheureusement date et sera certainement invoqué, à l'avenir, pour décrédibiliser d'éventuelles initiatives similaires.

Notes



[2]    Pour plus de détails, voir Buen Vivir, faux et vrais espoirs, William Sacher et Michelle Báez, La Revue des Livres, Mai-Juin 2013.

[3]    Enntrevue au Journal El Telégrafo, Quito, le 12 janvier 2012.

[5]    Voir Jeffery Webber, “From rebellion to reform in Bolivia: class struggle, indgenous libreation, and the politics of Evo Morales, Haymarket Books, 2011, 281 p.

[6]    Pour reprendre le concept du géographe marxiste David Harvey, très approprié dans ce contexte.

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