Troublantes contradictions entre le discours et l’action du gouvernement.Cette politique de promotion des activités extractives a généré un grand nombre de conflits sociaux, comme c’est le cas dans toute l’Amérique latine. Les populations victimes de la violence et des dépossessions qui sont associées aux mégaprojets pétroliers et miniers, divers mouvements sociaux (notamment autochtones et écologistes) et intellectuels de gauche ont à de nombreuses reprises exprimé leur rejet de ce modèle. La réponse du gouvernement a été de systématiquement marginaliser, censurer et « criminaliser » ces acteurs critiques. Dans ses déclarations publiques, le président lui-même les qualifie régulièrement « d’écologistes infantiles », tandis que nombre de leaders et dirigeants ont été accusés de « terrorisme » ou de « sabotage » et font face à de lourdes condamnations. Dans certains cas, le gouvernement n’a pas hésité à utiliser la force publique pour réprimer ces acteurs et favoriser l’accès des territoires à des sociétés transnationales en s’appuyant notamment sur la législation minière promulguée en 2009 (laquelle est restée très proche de la version néolibérale précédente).
Puis, les conséquences néfastes d’un point de vue économique et politique, et les inévitables impacts socio-environnementaux, ou encore culturels et psychologiques de ce type d’extraction ne sont plus à établir. Les méga-exploitations minières, affichent - au Sud comme au Nord - un dossier accablant en la matière. Plus de 40 ans d’exploitation pétrolière en Amazonie équatorienne ont mené à des destructions environnementales irréversibles, des conséquences dramatiques en terme de santé publique et à la disparition de peuples autochtones. On est bien loin de la remise en cause de « l’exploitation de l’être humain et de la nature » prônée par la Constitution dans le cadre de la recherche du Buen Vivir, un concept dont le gouvernement lui-même fait, pourtant, une promotion assidue [2]. Correa et son gouvernement suivent la vocation centenaire de l’Equateur : celle d’exportateur de matière première à bon marché[3] Pourtant, ce pays connaît parfaitement les tares associées au phénomène d’enclave auquel conduit ce type d’économie et sa vulnérabilité face aux aléas des marchés internationaux des matières premières, particulièrement volatils. Tant que les prix des métaux et du pétrole sont élevés, la croissance équatorienne se maintiendra et les revenus dégagés resteront substantiels. Mais la croissance chinoise, qui a tiré ces prix vers le haut ces dernières années, semble s’essouffler...
Enfin, les ressources minières et pétrolières équatoriennes sont dans de nombreux cas directement contrôlées par des transnationales étrangères. Les grands projets miniers sont aux mains de sociétés d’Etat chinoises, lesquelles se sont taillé la part du lion. Les sociétés juniors canadiennes, peuvent, quant à elle, spéculer sur leurs concessions de centaines de milliers d’hectares, à partir du « paradis judiciaire » qu’est la bourse de Toronto. Certes, dans le secteur pétrolier, des efforts notables ont été consentis. Les revenus de l’État ont augmenté grâce à la renégociation des contrats, et les entreprises d’État ont récupéré un certain protagonisme. Néanmoins, on continue de faire massivement appel aux transnationales étrangères, et, plus grave encore, une partie substantielle de la production future a été vendue par anticipation à l’État chinois, en guise de remboursement de la dette contractée auprès de ce pays.
Cet état des lieux tranche avec le projet écologiste et d’émancipation de la tutelle des puissances étrangères affiché par le gouvernement. L’écologisme et l’anti-impérialisme de Correa apparaît sous cet angle comme un exercice rhétorique et publicitaire -dont la récente campagne de la « mano negra » contre Chevron est une nouvelle occurrence- rendu possible par l’affaiblissement de l’hégémonie étasunienne et l’avènement d’un monde multipolaire.
Une rhétorique calquée sur celle des industries extractivesLes politiques extractivistes du gouvernement de Correa apparaissent donc en contradiction avec son projet de « socialisme du XXIème siècle » et avec les diverses prises de position qu’on trouve dans les écrits officiels [4], comme la remise en cause de l’impératif du « développement » et de la croissance économique, la sortie nécessaire de l’extractivisme, et la transition vers une société du Buen Vivir. Ces politiques légitiment également la construction d’infrastructures de transports et énergétiques indispensables au fonctionnement des exploitations minières et pétrolières.
L’examen de l’action gouvernementale dans le secteur extractif illustre ainsi – comme l’affirme aujourd’hui la gauche équatorienne anticapitaliste [5] - qu’en fait de processus révolutionnaire et socialiste, on assiste en Équateur à la continuité logique du néolibéralisme, et qu’en favorisant le retour d’un État raisonnablement interventionniste, Rafael Correa a réussi le tour de force de conserver la structure coloniale du modèle économique, tout en opérant une modernisation capitaliste sans précédent.
William SACHERDoctorant en Économie du Développment, Faculté Latino-Américaine des Sciences Sociales, FLACSO, Quito. Co-auteur, avec Alain Deneault, de Paradis Sous Terre, Comment le Canada est devenu une plaque tournante pour l’industrie minière mondiale? Notes
[1] Yasuní-ITT consistait pour l’Équateur à se refuser à exploiter une partie de ses réserves de pétrole en échange de dons internationaux. Pour plus de détails sur cette initiative et son abandon, voir FAL, octobre 2013.
[2] Pour une critique du Buen Vivir dans sa version gouvernementale, cf. William Sacher et Michelle Báez, «Buen Vivir, faux et vrais espoirs», Revue des Livres, Paris, numéro 11, mai-juin 2013.
[3] Alberto Acosta démontre bien la persistance de cette vocation dans son livre Breve historia económica del Ecuador, Quito, CEN, 2012.DOSSIER
[4] e.g. dans les différentes versions du Plan Nacional para el Buen Vivir
[5] cf. par exemple, le livre El Correismo al Desnudo, Varios autores, Montecristi Vive, 2013.
Article publié dans le numéro 106 de France Amérique Latine