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La crise comme opportunité… de bonnes affaires ?

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Par: 
WRM

Le dénommé « Capitalisme 2.0 », modèle ressuscité du capitalisme libéral, pour contourner les sables mouvants de la finance dans son nouveau cycle d’accumulation trouve très opportun de tirer profit de la crise climatique. Le président de la Shell au Royaume-Uni en personne a déclaré que, pour les affaires, faire face au changement climatique est aussi bien une nécessité qu’une grande opportunité. Le protocole de Kyoto fournit la forme et le contenu, grâce à quoi furent inventées des stratégies comme le système Cap and Trade (fixation de limites maxima d’émission et échange des droits d’émission) et les Mécanismes de développement propre. La Banque mondiale, entre autres, se précipita aussitôt, en avançant l’idée de transformer la tragédie (émissions de carbone) en marchandise, et en créant un marché pour y spéculer sur cette nouvelle denrée, partant de la prémisse que l’argent pourrait réparer les dégâts. Mais, ce qu’a fait le marché du carbone, et le commerce des émissions de carbone (CO2) qui en est né, contrôlé par le même système économique qui est à la racine de la crise climatique, c’est contribuer à maintenir l’hégémonie du capital. Donc, par cette voie, la perspective n’est pas du tout encourageante.

 Des « solutions » qui font partie du problème

  •   MDP : ni développement ni propre

Nous vivons des temps où il est indispensable de savoir que les programmes de ralentissement du changement climatique et d’adaptation à ce même phénomène, en suivant les directives de la Convention sur les changements climatiques et de son Protocole de Kyoto – qui s’appuient sur des critères de marché - ne sont pas parvenus à inverser le changement climatique. La preuve évidente en est que les émissions de CO2 ont continué à augmenter, ainsi que la température mondiale moyenne (1). En revanche, ils ont connu le succès en offrant de bonnes affaires d’investissement dans les pays du Sud, et en créant une spéculation financière qui, dans certains cas, a provoqué des situations de corruption.

En Afrique, énorme continent convoité pour ses territoires immenses et pour sa profusion en ressources naturelles, Blessing Karumbidza et Wally Menne dénoncent le cas du village Idete dans le district de Mufindi, province d’Iringa, dans la région méridionale de la Tanzanie (2). Là-bas, dans le cadre d’un projet de supposé « développement propre » (avec un faible niveau d’émissions de carbone), l’entreprise norvégienne Green Resources Ltd. a un projet de plantation d’eucalyptus et de pins exotiques en régime de monoculture dans les prairies humides du Sud de Mufindi.

L’argument est que les plantations d’arbres sont positives pour le changement climatique, dans la mesure où elles agissent comme des « puits de carbone », générant ainsi une « épargne » d’émissions de carbone. Cette dernière prend la forme de « certificats de réduction d’émissions » (CER) ou « crédits de carbone » qui peuvent être achetés dans le marché du carbone par des industries ou des gouvernements du Nord pour compenser une partie de leurs obligations de réduction d’émissions. C’est ainsi que fonctionne le dénommé « Mécanisme de développement propre » (MDP) qui prend appui sur une supercherie : prétendre qu’il est valide de compenser le carbone additionnel extrait du sous-sol (combustibles fossiles) avec le carbone atmosphérique qui se recycle, en maintenant ainsi un bilan stable.

Green Resources Ltd. espère que les plantations d’arbres qui ont été établies sur de riches prairies seront acceptées comme MDP et génèreront des CER qu’elle pourra vendre au gouvernement de Norvège. Considérer les effets négatifs des plantations forestières sur le sol de la prairie, sur les réserves d’eau et sur les communautés locales reste hors sujet. On ne prend pas davantage en compte le fait que la prairie accumule une réserve de carbone qui peut rester sur place pendant des centaines ou des milliers d’années, et qui peut même, sous certaines conditions, continuer à augmenter.

La filiale de Green Resources en Tanzanie a acquis pour pas cher 14 000 hectares de terres à la communauté d’Idete, où elle en a déjà planté 2 600. Elle a le plan de continuer à acheter davantage de terre : pas moins de 170 000 hectares rien qu’en Tanzanie, où on lui garantit la possession pendant 99 ans, dans un pays à l’économie principalement rurale, où la possession de la terre, son accès et son contrôle sont essentiels pour la survie. Ses clients captifs sont des communautés très souvent en situation de pauvreté, et complètement étrangères à la sophistication de ce type d’affaires internationales, et un gouvernement disposé à échanger des biens naturels contre des investissements étrangers. Il n’est pas difficile d’imaginer la situation et ses résultats. Pour le gouvernement de Norvège, important producteur et exportateur de pétrole, le projet de l’entreprise nationale lui sert à acheter des crédits de carbone et, grâce à eux, à pouvoir affirmer qu’il a « compensé » ses émissions intérieures. Pour les communautés, il reste peu de chose, et il restera encore moins quand les plantations commenceront à épuiser leurs réserves d’eau. C’est ainsi que se prépare le « colonialisme du carbone ».

Il est inacceptable que les fonds qui étaient supposés être destinés à résoudre les problèmes de climat servent à appuyer des projets de plantations forestières à grande échelle qui, outre qu’elles ne contribuent pas à résoudre la crise climatique, augmentent la vulnérabilité des communautés à la pauvreté, et en minent la souveraineté alimentaire.

  •     Biochar : monoculture forestière en sous-sol ?

Une autre des solutions qui ont été inventées comme stratégie de « ralentissement du changement climatique » - tout sauf penser à démanteler le modèle pétrolier – est ce que l’on connaît sous le nom de biochar. Il s’agit de brûler par pyrolyse – méthode de décomposition de matière organique chauffée en l’absence d’oxygène – des « déchets » ou des cultures agricoles et du bois d’arbres plantés dans ce but. Le charbon obtenu, mélangé à des fertilisants (produits à partir de combustibles fossiles) serait ajouté au sol où il resterait « séquestré ». L’argument est qu’il régénèrerait au passage les terres dégradées. D’un autre côté, ses promoteurs assurent que le système produit de l’énergie qui serait utilisée pour substituer dans quelques cas les combustibles fossiles.

Dans ce domaine aussi on parle de grandes possibilités d’investissement pour obtenir une production de charbon à grande échelle. Des projets de biochar sont déjà en marche dans plusieurs pays d’Afrique : Burkina Fasso, Cameroun, Côte d’Ivoire, République démocratique du Congo, Égypte, Gambie, Ghana, Kenya, Mali, Namibie, Niger, Sénégal, Afrique du Sud, Tanzanie, Ouganda et Zambie (3).

On estime qu’il faudrait au moins 500 millions d’hectares de terre pour produire du charbon, probablement à partir surtout d’énormes plantations d’arbres, en plus de l’énergie correspondante. (4) Cela représente une terrible menace pour le mode de vie de nombreuses communautés, certaines indigènes, qui se verraient déplacées de leurs terres et perdraient leurs moyens d’existence. Il y a même le risque que ces dangers soient renforcés par le développement de variétés d’arbres génétiquement modifiés (GM) pour la production de biochar, ou bien par l’augmentation du nombre d’espèces d’arbres à croissance rapide.

Jusqu’à présent, il n’y a pas d’études sur les effets à long terme du biochar sur la stabilité des sols, ni sur ce que supposerait pour la biodiversité le fait de prendre même les plus petites tiges pour les brûler et les enterrer, en subtilisant au sol des nutriments et la matière organique avec laquelle il produirait l’humus. Cela altèrerait aussi les écosystèmes naturels qui jouent un rôle essentiel dans la stabilité et la régulation du climat, et sont la base de la production d’aliments et de la protection de l’eau. On ne sait pas encore si le charbon intégré au sol représente d’une façon ou d’une autre un « puits de carbone ».

Le PNUE lance une alerte sur la méconnaissance des effets à long terme du procédé,  sur la durabilité agricole et la biodiversité, et conseille de traiter cette proposition avec une grande prudence (5). Cela n’empêche pas le lobby dans ce domaine, représenté par International Biochar Initiative, composé en majorité d’entreprises et d’universitaires très souvent proches d’intérêts commerciaux, de préconiser le développement du biochar et de tenter de l’inclure dans les marchés internationaux du carbone.

Tout tourne autour du contenu en carbone, avec le regard fixé sur le marché ad hoc.

  •    Biomasse : stratégie de vente

Si ce n’était pas tragique, ce serait à mourir de rire. Avec l’humanité coincée comme elle l’est face à une urgence climatique, nous voyons comment les forces économiques qui ont forgé le système industriel et pétrolier qui nous a mis dans cette situation, proposent maintenant certains changements pour que tout continue comme avant : entre autres choses, le même volume de transport privé, le même trafic de navires et d’avions cargos pour que continue le transfert de marchandises dans les marchés mondialisés, la même frénésie de production industrielle, la même expansion de l’agriculture industrielle. Tout pareil, et dans les mêmes mains, mais avec une touche de « bio ».

C’est ainsi qu’apparaît la proposition de substituer le combustible fossile par un combustible dérivé de la biomasse. Serait-ce possible ?

Jim Thomas, de ETC, donne une liste de produits et de services actuellement issus de combustibles fossiles (6):

  • Carburant pour le transport (automobiles, camions, avions) : avec le combustible pour le chauffage, il accapare près de 70% du pétrole.
  • Electricité : charbon, gaz naturel et pétrole sont actuellement les facteurs de 67 % de la production mondiale d’électricité.
  • Produits chimiques et plastiques : 10 % environ des réserves mondiales de pétrole sont transformés en plastiques et en pétrochimiques.
  • Fertilisants : la production à l’échelle mondiale requiert une utilisation intensive du gaz naturel.

Il y a des formules pour passer au « bio » à partir de la biomasse : pour le transport, il est possible d’obtenir de l’éthanol et du biodiesel ; pour l’électricité, on est en train de pratiquer la combustion de charbon et de biomasse mélangés, alors que l’on recherche des façons d’utiliser la nanocellulose et des bactéries synthétiques pour obtenir le courant électrique des cellules vivantes ; on pense utiliser du sucre pour produire des bioplastiques et des produits chimiques ; le biochar est proposé comme substitut des fertilisants à l’échelle industrielle.

Comme le pense à juste titre Thomas, pendant des millénaires le monde végétal a été une source de combustibles et de production de matériaux, mais le nouvel usage du terme « biomasse » marque un changement spécifique dans la relation de l’humanité avec les plantes. On perd l’univers taxonomique des espèces et des variétés que ce terme suggérait, pour traiter la matière organique depuis un point de vue industriel comme une seule chose indifférenciée, une masse, la biomasse.

C’est ainsi que, pour le monde du biocommerce, les écosystèmes, les plantes, la matière organique se réduisent à des dénominateurs communs, à des matières premières : les prairies et les forêts deviennent des sources de cellulose ou de carbone. Et de ce point de vue, les bois et les plantations industrielles d’arbres sont la même chose, de même que pour ceux qui les voient comme des sources de carbone ou de bois.

D’autre part, la terre fertile acquiert maintenant une valeur supplémentaire comme source potentielle de biomasse, ce qui accélère l’appropriation des terres, principalement dans des territoires du Sud, et tout spécialement en Afrique. Les technologies pour la transformation de la biomasse – nanotechnologie, biotechnologie et biologie synthétique – sont les outils qui permettront d’extraire la nouvelle matière première.

Il est en train de s’organiser tout un creuset de fusions et de mouvements d’entreprises dans les secteurs des laboratoires chimiques et biotechnologiques, des entreprises forestières et de l’agrocommerce, pour permettre ce type de « changements » : l’appropriation d’une nouvelle matière première comme combustible (dans le meilleur des cas) et rien d’autre. Grâce à quoi il est garanti que tout restera dans le même circuit de pouvoir et que le système d’accumulation de capital s’éternisera, avec sa contrepartie d’inégalités, de pauvreté et d’exclusion. Le modèle de production, de commercialisation et de consommation qui est à la racine de la crise climatique reste intact.

Dans le cas des agrocombustibles, on se propose d’adopter le biodiesel (obtenu à partir de plantes oléagineuses) et l’éthanol (que l’on obtient par la fermentation de la cellulose contenue dans les végétaux). Comme il n’est pas question de baisser le volume de la demande, il devrait se produire une énorme expansion des plantations qui serviraient à cette fin, comme le soja, le maïs, le palmier à huile, la canne à sucre, le jatropha et l’eucalyptus, entre autres.

En 2006, et comme partie de son engagement à réduire ses émissions de carbone, l’Union européenne se fixa comme but que, en 2010, 10 % du combustible utilisé dans le transport fût d’origine agricole. Comme conséquence, cette annonce qui conduirait à inonder de ces plantations 69 000 km2 (6 900 000 hectares) de terre a déchaîné une tempête. (7) Les systèmes d’agriculture familiale et paysanne, tout autant que les forêts, les prairies, les zones humides et divers écosystèmes seraient emportés par l’expansion des agrocombustibles.

De toute façon, ceci n’impliquera pas un changement radical dans la matrice énergétique mondiale. On continue à faire des explorations à la recherche de combustibles fossiles, on continue à exploiter le charbon, le pétrole et le gaz, et rien ne semble indiquer que cela doive changer.

  • REDD

Une nouvelle fausse solution est apparue. Elle est devenue un programme-étoile, dûment maquillé en vert comme pour faire naître une confusion… et encore des affaires. Les projets appelés REDD (Réduction des Emissions dues au Déboisement et à la Dégradation des forêts), s’ils sont encore en couveuse, se profilent déjà comme un mécanisme de marché qui servira à « compenser » les émissions de carbone. Les crédits de carbone qui naîtraient du fait de ne pas toucher à une région boisée pourraient se vendre dans les marchés de carbone internationaux, et les pays pollueurs du Nord pourraient les acheter, pour les comptabiliser comme partie des engagements qu’ils ont pris de réduire leurs émissions. Une autre manière de faire que rien ne change.

Pourtant, le paquet dans lequel est présenté REDD est attrayant : quoi de mieux pour une communauté sylvicole qu’on lui garantisse que sa forêt sera protégée, et qu’en plus on la paiera pour la conserver ? Cependant, il est difficile de croire que les mêmes forces mercantiles qui ont déchaîné la contamination puissent devenir des philanthropes.

Les communautés qui dépendent des forêts verraient leurs modes de vie radicalement changés. Dans le cadre d’un projet REDD, elles perdraient leur droit d’accès à la forêt, dans la mesure où tout usage de cette dernière (pour le chauffage, la construction, la culture, ou comme source de revenus) serait vu comme une «dégradation » car il réduirait le carbone emmagasiné dans la forêt. Ces limitations auraient sans doute des répercussions sur la souveraineté alimentaire, sur la trame sociale et sur l’identité culturelle des peuples indigènes et des communautés paysannes.

D’autre part, il est évident que cette mesure ne peut pas être considérée sérieusement comme une réduction à long terme des émissions de carbone. En premier lieu parce que, comme nous l’avons déjà commenté (http://www.wrm.org.uy/publicaciones/REDD.pdf), elle se base sur la prémisse que le carbone libéré à partir du déboisement est le même que le carbone produit par la combustion de combustibles fossiles. Or cette affirmation initiale est fausse, puisque le changement climatique ne naît pas des émissions des forêts, mais de l’augmentation constante du stock total de carbone atmosphérique due au brûlage de combustibles fossiles. C’est ce carbone, emmagasiné dans le sous-sol pendant des millions d’années sous forme de charbon, de pétrole et de gaz, qui cause le problème. Ledit carbone – qui ne fait pas partie du cycle naturel du carbone émis et absorbé en permanence par les végétaux – a commencé à s’accumuler dans l’atmosphère, et a donné lieu au réchauffement planétaire qui, à son tour, déclenche le changement climatique. Prétendre que les émissions de carbone des combustibles fossiles puissent être « compensées » par le simple expédient d’éviter des émissions provenant du déboisement est un argument faux, dilatoire et létal.

NON À REDD

C’est pour cela que les plaintes des organisations sociales contre les projets REDD se sont peu à peu transformées en expressions de refus. L’Accord des Peuples signé le 22 avril à Cochabamba, en Bolivie, reflète ce refus :  plus de 30 000 personnes, dont la plupart représentaient des organisations sociales, exigent aux pays développés de réduire d’au moins 50 % leurs émissions, et de le faire réellement, sans faire appel à des systèmes frauduleux « qui déguisent la non-réduction des gaz à effet de serre », comme les mécanismes de marché ou le mécanisme REDD, à propos duquel l’Accord dit : « Nous condamnons les mécanismes de marché, comme le mécanisme REDD (Réduction des Émissions dues au Déboisement et à la Dégradation des forêts) et ses versions + et ++, car il viole la souveraineté des peuples et leur droit au consentement libre, préalable et informé, ainsi que la souveraineté des États nationaux, et qu’il viole en plus les droits, les us et les coutumes des peuples et les droits de la nature ». (8)

Texte extrait de : World Rainforest Movement - Bulletin Mensuel - Numéro 160 - Novembre 2010 - Le changement climatique à Cancún

www.wrm.org.uy

Notes:

1-D’après CO2Now, http://co2now.org/.

2- Potential Impacts of Tree Plantation Projects under the CDM. An African Case Study, 07/10/2010, Blessing Karumbidza y Wally Menne, The Timberwatch Coalition, http://timberwatch.org/uploads/Draft%20Plantation_Pr....

3 - “Could Biochar save the world?”, Jeremy Hance, 16/08/2010, http://bit.ly/cALKwk.

4 - “Biochar, una nueva amenaza para los pueblos, la tierra y los ecosistemas”, déclaration : http://www.wrm.org.uy/temas/Agrocombustibles/Biochar....

5 - “Geoengineering the planet: What is at stake for Africa?”, Diana Bronson, ETC Group, http://pambazuka.org/en/category/features/67522.

6 - “The new biomassters and their assault on livelihoods”, Jim Thomas, ETC Group, 07/10/2010, http://pambazuka.org/en/category/features/67535.

7 - “Driving to destruction. The impacts of Europe’s biofuel plans on carbon emissions and land”, novembre 2010, http://www.foeeurope.org/agrofuels/ILUC_report_Novem...

8 - http://cmpcc.org/acuerdo-de-los-pueblos/.

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