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Conférence du Professeur Rafael Correa à la Sorbonne : faire prendre des vessies pour des lanternes

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Date de publication: 
Lundi, 11 Novembre, 2013
Par: 
Gérald LEBRUN

Conférence du Professeur Rafael Correa à la Sorbonne.
Ou, comme le grand illusionniste Rafael essaye de nous faire prendre des vessies pour des lanternes.

La conférence a eu lieu le 6 Novembre 2013 au vénérable grand amphithéâtre de la Sorbonne.
Nous sommes arrivés à 16h30, et il avait déjà la queue, nous avons attendu environ 30 minutes avant que finalement on nous ouvre les portes.  Heureusement, malgré les nuages ​​menaçants, on a pu éviter la douche.
En arrivant à la porte, contrôle d'identité, contrôle des papiers et, bien sûr, l’indispensable invitation. On a dû également laisser au vestiaire nos sacs et autres serviettes...
Nous sommes enfin dans l’amphithéâtre, déjà 17h15, il faut attendre le début de la conférence prévue à 18H. Enfin assis, nous avons pu assister au ballet des agents, techniciens et cameramen.
Pendant que nous attendions, les organisateurs ont passé un documentaire touristique sur l'Equateur avec les images des merveilles que ce pays a encore, y compris les images de Yasuni. Ma voisine m'a demandé, c'est l’Equateur?  Oui madame, Quel joli pays, Oui madame et si vous voulez le connaître, il faut y aller maintenant, parce que dans 10 ans, cela ne sera plus la même chose.

Le public

Le grand amphithéâtre de la Sorbonne peut accueillir environ 1000 personnes, Pour cette conférence il a été rempli à 90%.

Le Parti de gauche (PG) a été mobilisé pour l’évènement avec à sa tête son « lider maximo », Jean-Luc Mélenchon, un grand ami de Rafael Correa. A droite de l'estrade centrale, On a placé les turbulents membres du "Front de Gauche Latino" venus avec drapeaux et tout le nécessaire pour exprimer leur dévotion et acclamer le grand homme de la révolution citoyenne.

Une bonne partie des étudiants équatoriens en France et les représentants des classes moyennes et supérieures du pays étaient également présents.

Enfin, de nombreux français et latino-américains ont complété le public. Un amphithéâtre presque totalement acquis à Rafael Correa.

La conférence

Rafael Correa est arrivé à l’heure, et après la cérémonie protocolaire,  la remise de la Médaille de l'Université, les discours officiels des officiels de la Sorbonne, il a pu commencer sa conférence.

En français et pour plus de 50 minutes, Rafael Correa a expliqué sa vision de la crise et des recettes pour en sortir et surtout ne pas tomber dans les mains des banques et du système financier international.

50 minutes de conférence, coupées par des salves d'applaudissements à chaque pause du Président Professeur.

Tout d’abord,  il faut noter que Rafael Correa est différent des autres présidents latino- américains, il a  une réelle présence, un charisme, un talent réel dans l’expression. D'autres, comme Ollanta Humala, n'ont pas cette facilité à communiquer.

Si je devais résumer les idées fondamentales de la conférence de Rafael Correa, je dirais :

1 ) L'Europe connaît aujourd'hui la même crise que l'Amérique latine a rencontré il ya 20 ou 30 ans et applique les mêmes remèdes qui n'ont pas fonctionné dans le passé et qui ont laissé le malade, encore plus malade.

2) le système bancaire et financier ne cherche qu’à  garantir le remboursement de la dette et le paiement des intérêts, quels que soient les coûts sociaux et humains. Que la prétendue «science économique» ne vise qu'à garantir les profits du système financier et ne cherche pas le développement des économies.

3) Nous devons reprendre le contrôle du capital, le capital doit servir la société et non l’inverse, lorsque la société est au service du capital. L’Equateur a repris en main son destin en 2008 quand il s’est débarrassé de sa dette souveraine.

4) "En Equateur, depuis que nous ne dépendons plus du système bancaire et financier, nous sommes le pays qui a plus de croissance, nous sommes le pays qui réduit le plus les inégalités".

Les questions

Un petit groupe de 10 étudiants de l’IHEAL (Institut des Hautes Etudes d' Amérique Latine) avait le rôle de poser des questions au professeur et Président Rafael Correa. Bien sûr, les questions ont été contrôlées et filtrées par le personnel de l’IHEAL.

Deux questions m’ont paru intéressantes, un jeune étudiant espagnol a demandé  - Monsieur le Président, en Espagne, le taux de chômage est de 20 % dans le reste de l'Europe il est au-dessus de 10% et en Equateur est à 4,1% Quelle est votre recette?

L'emploi en Equateur : Parlons de ce taux de chômage de 4,1% , en fait le dernier taux officiel en milieu urbain ( Quito ou Guayaquil ) est de 4,6 % , c'est le taux officiel donné par le gouvernement équatorien. Mais de quel genre d'emplois parlons-nous, car le taux de sous-emploi atteint 43 %, le taux de plein emploi ( à temps plein ) ne dépasse pas 50%. À Guayaquil et Quito, 16 % des personnes vivent dans des conditions de grande pauvreté, ce taux atteint  40% dans les zones rurales, 70 % pour les populations autochtones.

Une étudiante équatorienne a parlé en dernier, elle a été celle qui a eu l'occasion de rappeler quelques-uns des derniers sujets chauds en Equateur aujourd'hui, à savoir le droit à l'avortement, l'exploitation de Yasuni et des risques pour les peuples non-contactés, le contrôle les réseaux sociaux et la dissémination des OGM.

OGM - Le président a expliqué que l'interdiction des OGM par une disposition constitutionnelle (article 401) n'est pas correcte, car un produit OGM qui n'a pas d'effets néfastes ne pourrait pas être utilisé parce que la Constitution l'interdit. Donc, nous devons changer la Constitution (et ainsi ouvrir la boîte de Pandore, la porte est ouverte à Monsanto et d’autres).

Yasuni et des peuples non contactés - Ici le président semblait en colère : comme nous l'avons dit, nous avons besoin de ces ressources pétrolières, nous n'allons pas les laisser dans le sol, de toute manière il n’y a aucune preuve de l’existence des peuples non contactés, et de toute manière cela n'empêche pas une exploitation responsable. Certes, les Taromenane  et Tagaeri n’existent pas et par rapport à une exploitation du pétrole propre et responsable, nous avons déjà de bons exemples. Une exploration pétrolière, bien que présenté comme responsable, implique toujours les mêmes problèmes, c'est-à-dire : études sismiques et géologiques, construction des routes, des pipelines, arrivés des employés, des colons, des déversements accidentels et de la contamination.

Contrôle sur les réseaux sociaux - la réponse de Correa – Il ne faut pas croire tout ce que disent les médias, mais dans ce cas, c’était sa propre presse, puisque c’est la presse officielle qui a signalé l’événement. En outre, la personne qui a revendiqué un tel contrôle était le propre secrétaire juridique de la Présidence, Alexis Mera. Mauro Andino, président de la commission de justice, n'a pas nié le projet, officiellement pour lutter contre l’injure et la calomnie. Si on a parlé du contrôle des réseaux sociaux, on n’a pas parlé du décret 16 de 4 Juin dernier. Ce décret vise à contrôler et à réglementer le droit de former des associations et des organisations. Ce décret a fait l'objet d'une plainte devant la Commission interaméricaine des droits de l'homme (CIDH) le 28 Octobre 2013.

La réalité de l'Équateur Rafael Correa

En 2008, Rafael Correa décide la cessation des paiements des obligations de sa dette extérieure, avec cette décision il a obtenu un effondrement du prix de ces obligations. L'État équatorien a ensuite racheté ses propres obligations à un prix beaucoup plus bas et donc annulé ainsi une grande partie de sa dette (plus de 3 milliards de dollars).

Cela pourrait apparaître comme une bonne stratégie, une manipulation habile des marchés financiers, digne d'un Soros. Mais le résultat a été une perte de confiance du système financier. La cessation de paiement a conduit à la fin du financement  occidental, la confiance dans l'Etat équatorien n'existait plus, les agences de notations ont dégradé les notes de l’Equateur entre les plus basses possibles et le taux des prêts sont monté en flèche. Pour répondre à ses besoins financiers, obtenir des prêts et des lignes de crédit pour ses projets d’infrastructures, l'Equateur n’a pas hésité à se jeter dans les bras de la Chine, toujours à la recherche de sources de matières premières pour soutenir sa croissance.

Récemment, la classification des obligations souveraines de l'Equateur a de nouveau augmenté à partir de la note la plus basse à la note B, c'est à dire une classification qui continue d'identifier un risque grave d'insolvabilité. S & P a mis en évidence le rôle de la Chine : "le financement chinois est très important dans le cas de l'Equateur, parce que, jusqu'à présent, cela a été la source la plus importante pour le gouvernement équatorien. Ce fut un élément clé dans notre décision de relever la note de l'Equateur". Les taux d'intérêt allant de crédits chinois 6,5 et 7,5 %, inférieur aux taux que l'Équateur pourrait obtenir avec les instances financières occidentales. Mais, il y a un sérieux revers à la médaille, l'Equateur doit garantir le paiement de sa dette par la livraison de matières premières. Cette contribution matérielle vise à promouvoir une politique extractiviste beaucoup plus agressive. Par exemple, Petroecuador s'est engagé à fournir à la Chine 130 millions de barils de pétrole brut en six ans, et bien sûr avec des prix inférieur aux prix du marché. Actuellement, la dette de l'Equateur vis-à-vis de la Chine a atteint 9,000 millions de dollars, chaque équatorien doit donc 600 $ dollars à la Chine (avec un taux d'intérêt de 7 %).  Voila la nouvelle liberté acquise par le gouvernement équatorien à l'égard du système financier. Rappelons que la Chine, a placé 86 milliards de dollars de prêts en Amérique latine entre 2005 et 2012, principalement dans le financement de projets extractivistes. La Chine exige non seulement un accès privilégié aux ressources naturelles de l’Equateur, mais aussi un accès privilégié pour ses entreprises dans la réalisation des projets d'infrastructure.

En 2009 et 2011, Petrochina a prêté 1 milliard de dollars à Petroecuador , avec obligation de livraison de brut. En 2010, la Banque de Chine prête 1 milliard de dollars à Petroecuador , avec obligation de livraison de brut.

En 2011, la Banque de Chine a prêté 2 milliards de dollars au gouvernement équatorien, avec obligation de livrer du pétrole et de développer les biocarburants éthanol et biodiesel pour alimenter la Chine.

En 2010, l'Export-Import Bank of China prête 1684 millions de dollars pour la construction du barrage de Coca- Codo Sinclair, non seulement le gouvernement doit rembourser le prêt en 15 ans à un taux de 7%, mais a eu également l'obligation de passer par la société chinoise Sinohydro pour la construction.

En 2010 également, un processus similaire est appliqué dans la construction du barrage Sopladora par  HydroChina (prêt de 571 millions de dollars) .

Mines: la Chine entre également dans le secteur minier, Junefield est prêt à récupérer le projet Fruta del Norte et de remplacer le sortant Kinross. Junefield a déjà 7000 km2 de concessions au Pérou voisin. En Équateur, Junefield possède les projets Florida et Muluncay et est prêt à reprendre le projet Rio Blanco.

Agrocarburants : l'Equateur et est le deuxième plus grand producteur en Amérique du Sud (après la Colombie) d'huile de palme avec 280.000 hectares plantés en mars 2013, il y existe un plan de développement de cette monoculture particulièrement agressive pour l'environnement et la biodiversité. Outre la production d’huile, la palme africaine permet la production de biodiesel, la Chine est également le plus gros client en vue. Le gouvernement équatorien pousse également une autre monoculture, la canne avec le clair objectif d’alimenter la Chine en éthanol.

Conclusion

Le président Rafael Correa dans sa conférence sorbonnale voulait nous  montrer comment surmonter la crise – Vous devez sortir des griffes du système financier, à l'instar de l'Equateur, a-t-il dit. Très bien, mais quand on regarde la situation actuelle de l’Equateur,  cela ne nous donne pas l'envie de suivre le même chemin. Evidemment l’Equateur s’est sorti de certaines griffes pour mieux tomber dans d’autres, encore plus féroces. Tomber de Charybde en Scylla, en se référant à la mythologie grecque, ce qui en Espagne se dit – Fuir le feu pour tomber dans les braises et pour nos amis guatémaltèques – Sortir de Guatemala pour arriver à Guatepeor (passer du mauvais au pire).

Non seulement, Rafael Correa n'a pas sauvé l’Equateur de sa mauvaise situation financière, mais il a encore approfondi et continue de creuser l’ornière dans laquelle est tombé le pays.

Rafael Correa met en œuvre sa politique avec un mélange d’autoritarisme d'une part et de cadeaux, de redistribution, d’aide sociale et de clientélisme de l'autre. Un cadeau dans une main et une matraque dans l’autre.

Il n'y a aucune perspective de quitter ce modèle purement  extractiviste, l'Equateur est devenu une simple réserve de matières premières pour l'empire chinois et de prendre le même chemin que son voisin du sud (le Pérou), vers une économie de saccage et de destruction et non de développement.

Etrange cet attachement à Rafael Correa, l'attachement presque religieux de la gauche française et en particulier du Parti de gauche ( PG) de JL Mélenchon. C'est sans aucun doute le modèle que M. Mélenchon veut imposer à la France si le PG arrive au pouvoir.

Etrange aussi, l'attitude d'une grande partie de la gauche latino-américaine, apparemment, si le pilleur est gringo, cela est inacceptable, mais si le pilleur est chinois, alors nous devons nous réjouir et applaudir.

Mais rappelons-nous qu’une mine à ciel ouvert est une mine à ciel ouvert qu’elle soit chinoise ou américaine. La contamination qu’elle soit  chinoise ou gringa, empoisonne de la même façon. Une corde autour du cou, qu’elle soit chinoise ou gringa, est toujours une corde au cou et vous étrangle de la même façon.

Lire aussi : Le vrai coût des politiques sociales de Rafael Correa

Pour aller plus loin :

  • http://www.latercera.com/noticia/negocios/2013/05/655-525780-9-ecuador-planea-emitir-deuda-soberana-a-fines-de-ano-o-inicio-del-proximo.shtml
  • http://www.eluniverso.com/noticias/2013/05/29/nota/964751/ecuador-planea-volver-mercado-internacional-bonos-dice-embajadora
  • http://www.inredh.org/index.php?option=com_content&view=article&id=124:no-pagamos-masla-deuda-esta-pagada&Itemid=46
  • http://www.ratingspcr.com/archivos/publicaciones/SECTORIAL_ECUADOR_SOBERANO_201006.pdf
  • http://www.google.com/hostednews/afp/article/ALeqM5h04qDIakM452qSKOolGgB9L-sDwA?hl=es
  • http://news.bbc.co.uk/hi/spanish/business/newsid_7784000/7784141.stm
  • http://es.wikinews.org/wiki/Ecuador_no_pagar%C3%A1_su_deuda_externa
  • http://iniciativadebate.org/2013/09/25/la-deuda-antes-que-la-vida-el-ejemplo-ecuatoriano/
  • http://www.elmostradormercados.cl/destacados/ecuador-pide-a-china-us1-200-millones-para-cubrir-brecha-presupuestaria/
  • http://www.ase.tufts.edu/gdae/Pubs/rp/GallagherNewBanksSpanish.pdf
  • http://www.revistagestion.ec/wp-content/uploads/2013/10/220_INversiones-calificaci%C3%B3n-Bonos.pdf
  • http://www.lahora.com.ec/index.php/noticias/show/1101453861/
  • http://www.hoy.com.ec/noticias-ecuador/dos-creditos-chinos-para-construccion-de-hidroelectricas-486011.html
  • http://ecuador-relacionesinternacionales.blogspot.fr/2012/08/los-prestamos-chinos-dejaran-altas.html
  • http://www.bu.edu/pardee/files/2013/05/China-el-nuevo.pdf
  • http://www.elcomercio.com/negocios/Petroecuador-crudo-Petrochina_0_509349140.html
  • http://www.americaeconomia.com/negocios-industrias/petroecuador-vendera-130-millones-de-barriles-de-crudo-petrochina
  • http://www.el-nacional.com/mundo/Correa-asumira-mandato-oposicion-dividida_0_195580638.html

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