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Imider, cinq ans de résistance contre une mine d'argent : entretien

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Date de publication: 
Mercredi, 25 Février, 2015
Par: 
Collectif Aldeah
26 juillet 2014 Imider Maroc26 juillet 2014 Imider MarocCela fait quelques temps que le collectif Aldeah reçoit régulièrement des (mauvaises) nouvelles du mouvement 96 Imider qui lutte contre l'industrie minière dans le sud du Maroc. La répression que subissent les opposants de la part des forces de l'ordre n'est pas sans rappeler, peut-être, celle qui a pu avoir lieu en France contre les opposants au barrage du Testet ou à l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes proche de Nantes. Elle est le lot commun de ceux qui, un peu partout sur Terre, luttent contre ce que nous nommons l'extractivisme et les "Grands Projets Inutiles Imposés" (GPII). Voici l'entretien que nous avons eu avec un des portes-parole francophones du mouvement marocain. "

« Avant l'ère du protectorat français, la tribu de « Ait Atta » vivaient librement dans leurs larges territoires, cette époque a connue beaucoup de conflits entre les différentes tribus amazighes sur les terres, mais après  l’année 1935, les autorités françaises ont conservé, pour chaque tribu,  les terrains  contrôlés par cette dernière et sur lesquels elle exerce ses activités agricoles. En 1953, le roi Med V a validé ces bases juridiques » disait O.Brahim, un homme âgé de IMIDER.

En France, on reçoit des informations de votre combat à Imider, pourriez vous nous préciser depuis quand vous luttez et contre quoi exactement ?

 Depuis le 1er août 2011 et dans le cadre du Mouvement sur la voie de 96 (MSV96), les militants de la commune rurale d'Imider lutte​nt contre:
  • le pillages des richesses naturelles par la Société Métallurgique d'Imider (SMI) 
  • la destruction de l’environnement  à cause de la pollution et de la surexploitation des richesses naturelles (eau, terres, sables et mines...) par la SMI. 
  • les politiques de marginalisation, d'appauvrissement et d'exclusion menées par l'Etat à l’égard des communautés.
Et luttent pour:
  • la promotion des secteurs sanitaire et de l’éducation ainsi que le renforcement des infrastructures de base.

Eau à ImiderEau à ImiderQu'est-ce qu'extrait la mine d'Imider et pour quel usage ?

La SMI extrait et traite l'argent avec une production annuelle de 240 tonnes environ. Une extension de l'usine financée en 2013 devait amener cette quantité à 300 tonnes par an, mais face à notre mobilisation, la production normale (240 t) a diminué de 40% selon leurs sources (peut être plus en réalité). Cet argent, pur à 99%, est destiné à l'exportation (Etats-Unis, Suisse, France...) 


Comment se comportent les autorités avec vous ? On a appris qu'en mars 2014 il y avait eu une disparition. Avez vous des nouvelles ? Il y a-t-il un dialogue ?

Les autorités ont mené un blocus policier, une politique sécuritaire acharnée depuis 2011. Ils ont arrêté une trentaine de militants pendant cette période de trois ans et demi alors que d'autres font encore l'objet de plusieurs poursuites judiciaires basées sur des accusations fabriquées et non fondées, des attaques violentes ont lieu également contre les militants. En parallèle, une dizaine de réunions ont eu lieu pour négocier et communiquer avec les parties concernées mais les propositions faites aux manifestants restent ambiguës, piégées et pas au niveau des espérances des habitants. 
En 2012, le nouveau gouverneur de Tinghir (province) a paralysé toute communication entre le comité de dialogue du Mouvement et les autres parties ! Le gouvernement du Maroc a évité, à plusieurs occasions, de reconnaître la légitimité de notre cause et a mené un black-out médiatique tout en influençant les médias officiels en faveur de la Société Métallurgique d'Imider (SMI).
De plus  les autorités locales, les responsables de la SMI et certains élus locaux ont  perdu leur légitimité à IMIDER lorsqu'ils ont signé un "accord" de convention - illégal - qui n'étant en réalité qu'une tentative de contournement de nos revendications et de désinformation de l'opinion publique. Cet accord englobe les points que nous avions traité durant les négociations (par l’intermédiaire d'un comité de dialogue  de 10 personnes). Ils ont essayé alors d'imposer leurs propositions aux habitants, ce qui n'a pas marché. Ces derniers ont réalisé une pétition d'opposition (2000 signatures des adultes) et ont choisi de continuer le combat pacifique.
Les détenus de Mars 2014 ont été torturés et ensuite condamnés à trois ans de prison et 20 000 DH (NDLR : 1,841.32€,  le salaire minimum est de 230/270€) chacun, deux autres militants ont été arrêtés en décembre 2014, ils ne sont pas encore jugés, ils s'ajouteront a une longue liste de détenus de la cause d'IMIDER.
On a déposé plusieurs plaintes et correspondu avec les autorités régionales et le gouvernement mais sans réponses, "l'État est en panne !", comme l'a dit un militant.
Sur quoi portait l'accord de convention que vous évoquez? 

Les revendications du Mouvement sur la voie de 96 sont classées sous forme de neuf sous-dossiers différents.
En général le MSV 96 réclame aux autorités et à la SMI :
    
  • la promotion du secteur de la santé (ambulances et centre médical polyvalent...), de l’éducation (établissements et transports scolaires...) et la construction (le renforcement) des infrastructures de la région (réseaux routiers, eau potable, électricité, etc.),
  • L'adoption des démarches et politiques de gestion environnementale pertinentes en vue de lutter contre la pollution et le pillage des richesses naturelles (recyclage, certification ISO, etc.).
  • Que la SMI respecte les lois et les cahiers des charges pendant ses activités minières,
  • La création de projets de développement prometteurs et créateurs d'emplois pour les habitants,
  • La construction de barrages pour l'eau,
  • La libération de nos détenus politiques et l’ouverture d'une investigation complète à propos de leurs arrestations arbitraires et jugements injustes de 2011 à aujourd'hui.
Mais malheureusement, les responsables n'ont pas traité nos revendications sérieusement et ont bloqué le dialogue avec les manifestants en recourant aux "élus" pour signer ladite convention qui comporte un certain nombre de clauses qui sont, comme je l'ai déjà dit, ambiguës et piégées.


Lorsque vous dîtes "Que la SMI respecte les lois", pourriez vous nous en dire plus ? Vous parlez aussi des pollutions, quelles sont ces pollutions et comment savez vous qu'elles existent  ?

La SMI n'a pas respecté la loi marocaine numéro 10-95 portant sur la gestion des ressources hydrauliques et qui donne la priorité aux êtres vivants en termes de droit d’accès à l'eau potable et agricole. Ici à IMIDER, notre richesse hydraulique est volée, surexploitée/pillée par la mine, et c'est le cas de l'exploitation du puits "Targuitt"  et du forage "Tidsa" (exploités depuis 1986 et 2004 respectivement).
La SMI a également violé les conventions collectives signées avec la commune rurale (ex: convention 2004). De plus, elle occupe plus de terrains qu'autorisé au sein de notre territoire sans aucune base juridique, sans oublier les carrières de sables exploitées par des sous-traitants en dehors des cahiers des charges établis préalablement...
Coté pollution, sachant que le traitement des métaux extraits se fait à base de cyanure et de plusieurs autre produits chimiques, la SMI libère les rejets liquides et solides à ciel ouvert ; en plus des gaz et poussières provenant de l'usine de traitement de l’argent, du mercure, du  plomb, du zinc et d'autres métaux lourds sont dispersés sur nos terres et dans les villages à cause des vents et des cheminées de l'usine. Un examen de certains échantillons (terre, eau, rejets solides de la SMI) a été réalisé par le journal Marocain "AL MASSAE"  et a vraiment prouvé la présence de plusieurs matières polluantes dans nos terres agricoles, nos eaux agricoles ainsi que dans l'eau potable, dans des concentrations qui dépassent les seuils et critères fixés par les organisations internationales.
Le problème dans ce cas est la "non-scientificité" de l'étude d'impact environnemental, qui est loin d'être indépendante et responsable ! Car le groupe MANAGEM  (qui contrôle la SMI) vient de certifier ses filières en ISO 14001 et 9001 ...!! auprès de bureaux manipulés bien sûr.
Une étude d'impact de l'activité minière sur notre environnement, étude scientifique, indépendante et responsable, figure aussi parmi nos revendications actuelles.

Au-delà du journal "Al Massae", comment votre combat a-t-il été relayé par les médias de votre pays ? Et dans les autres pays ? Est-ce que vous avez des photos, des articles scannés ou des liens internet ?

Les médias officiels du Maroc mènent un black-out médiatique sur notre cause. En 2013, TV8 nationale (chaine nationale) a réalisé un programme télévisé allant dans notre  sens, mais a été censurée à la dernière minute. Certains journaux électroniques publient ce que nous leurs avons envoyé.
Les principaux médias qui ont fortement aidé a faire connaitre notre cause au monde sont : Agence France Presse (AFP), Rusia today (RT), France24, New York Times (NYT)... cela aux cotés de nos publications dans les réseaux sociaux tels que FaceBook, Twitter et Youtube.
il suffit de lancer une recherche "IMIDER" sur google, ou de parcourir notre chaîne Youtube : https://www.youtube.com/channel/UCGq5pwvw8WNVIteXRHpeK7w pour trouver de nombreuses publications.
 
Vous trouvez ci-dessous certains des liens utiles.
 
 
Comptez-vous vous rendre en France ? 

Malheureusement, nous ne pouvons pas nous déplacer en France actuellement, premièrement parce que nous n'avons pas de moyens financiers et parce que seuls quelques jeunes possèdent des passeports, passeports qui n'ont pas été renouvelés à cause de ce blocus policier !
Mais si nous avions une occasion prochainement, ce sera bien pour nous de parler de notre lutte et de rencontrer des militants sur place (ZAD Notre Dame Des Landes, Barrage du TESTET ....), cela permettrait aussi d'obtenir plus de soutien pour notre cause.

 
Justement pour parler des ZAD de NDDL ou du  Testet, est-ce que vous êtes en contact avec d'autres luttes, au Maroc, par exemple en rapport aux gaz de schistes ? Et ailleurs sur Terre ?

La plupart des manifestations au Maroc ne durent que quelques jours ou semaines, étant soit dispersées par les forces publiques ou s'éteignant parce que les gens reculent d'eux-mêmes, vu l'absence de considération des autorités pour leur contestation, et aucune mobilisation n'est construite contre l'exploitation du gaz de schiste pour le moment.
Sur ce et face au blocus policier, aucune coordination n'a été mise en œuvre  avec d'autres luttes, par contre, on garde contact avec d'autres manifestants dans le seul but de s'informer et d'avoir des nouvelles à propos de leurs causes. 
On a également participé à des manifestations mondiales telles que la mobilisation mondiale pour le climat, la journée mondiale des droits de l'Homme, Journée Mondiale de la Femme.... et on a assisté au dernier Forum Social Mondial (FSM) en Tunisie.

Comment gérez-vous la relation avec le pouvoir royal du fait que la SMI est une filiale d'une entreprise appartenant au roi du Maroc ? 

Bien que ​la SMI soit une filiale du groupe MANAGEM, contrôlé par la Holding Royale SNI (Société Nationale d'Investissement), nous traitons les relations avec elle en tant que société privée qui doit respecter nos droits sans tenir compte bien sûr de "à qui" elle appartient, mais nous pensons également que l'appartenance de la SMI à ce groupe-là a compliqué la cause. 
Pourquoi ? Nous avons remarqué qu'aucune institution gouvernementale/étatique n'a le courage de prendre une décision juste, même si nous leur avons envoyé une dizaine de lettres/plaintes et pétitions signées collectivement par les manifestants, mais tranchent au contraire en faveurs de la SMI. S'il s'agissait d'une autre société, nous pensons que le conflit serait réglé rapidement et que nos problèmes seraient aussi résolus depuis le début.

Comment voyez vous l'avenir ? Qu’est-ce qu’il vous manque le plus ? (du monde mobilisé, le relais des médias, etc. ?)

Actuellement, nous pensons à maintenir le combat et à continuer dans cette voie de protestations pacifique, mais les formes de protestations peuvent être changées ou différenciées. Ça dépend également des actions prévues de la part des responsables​, chaque période et chaque événement ou situation a des effets sur les décisions prochaines de l'assemblée générale des manifestants. Bref aujourd'hui, en lutte, demain qui sait !
Toute lutte, chaque combat a besoin de  soutien, matériel et moral. A IMIDER et après 3 ans de résistance et de  persévérance, il devient de plus en plus évident qu'une mobilisation  des organismes de défense des droits de l'Homme, un support médiatique  continu, des campagnes de solidarité et de soutien matériel et moral nous permettraient de renforcer notre poids et ainsi de garder l'espoir que la victoire est possible dans le cœur des manifestants qui ont tant sacrifié au cours de 3 ans et demi  pour mener cette cause juste au bout.

 
Voulez-vous ajouter quelque chose, faire passer un message aux lecteurs et aux acteurs des résistances à l'extractivisme et aux Grands Projets Inutiles Imposés en France ou ailleurs ?

À tous les militants, citoyens du monde : Le "Mouvement Sur la Voie 96" (MSV96) annonce, en principe, sa solidarité inconditionnelle avec tous les mouvements de protestation qui défendent généralement des causes justes, notamment les militants Français (ZAD, NDDL, TESTET...) qui nous ont visités à IMIDER plusieurs fois et dont nous saluons l'esprit de solidarité.
Merci
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