« La déclaration de Marrakech par les alliances mondiales pour l’eau et le climat » est un bon exemple du discours axé uniquement sur la promotion de l’économie bleue et verte. Ont signées cette déclaration :
Des annexes à la fin de la déclaration listent les membres de chacune de ces alliances. Côté français, on y retrouve sans surprise la totalité du lobby de l’eau : ASTEE (dont la responsable eau potable est un cadre de Veolia et le nouveau président un ancien cadre de Suez actuellement directeur technique du SEDIF), le Partenariat Français pour l’Eau, le Cercle Français de l’Eau, l’association des EPTB, la FP2E... Veolia et Suez sont présents dans les 4 alliances à la fois en leur nom propre mais aussi au travers d’organismes comme la FP2E. Ajoutons le bureau d’études Artelia qui vient d’être placé sur liste noire par la Banque Mondiale, la CACG, Engie, Danone, Saint Gobain, des ONG « partenaires » du Conseil mondial de l’eau comme Action Contre la Faim, Eau Vive, l’Académie de l’eau, et au niveau institutionnel l’AFD, l’IRSTEA, l’IRD, le LEESU, les agences de l’eau et leurs comités de bassin, les syndicats de bassin et de rivière, le SIAAP qui vient de choisir Suez pour gérer sa plus grosse station d’épuration en région parisienne, Eau de Paris et la mairie de Paris.
La déclaration part du constat que le changement climatique modifie le cycle de l’eau par la fonte des neiges et des glaciers qui perturbe le débit des cours d’eau, la montée du niveau des océans avec pour conséquence la salinisation des aquifères littoraux, l’augmentation de l’intensité et de la fréquence des inondations et des sécheresses. Par contre, l’impact de la modification du cycle de l’eau sur le climat, du fait des activités humaines, est passé sous silence. Il en découle que les mesures préconisées ne visent pas à économiser l’eau et à limiter ou empêcher sa pollution. Au contraire, les mesures préconisées visent à fournir toujours plus d’eau quel qu’en soit l’usage (irrigation agricole, production d’électricité par les centrales thermiques et nucléaires…) et à la traiter une fois qu’elle est polluée. Il n’y a aucune remise en cause du modèle de développement économique et urbain à l’origine de la crise de l’eau et du changement climatique. Les mesures préconisées s’appuient sur des technologies conçues et mises en œuvre par les entreprises privées pour leur plus grand bénéfice. Certaines de ces technologies comme la désalinisation ont un coût élevé pour la société et des externalités qui ne sont pas prises en compte. Mais qu’importe puisque qu’il s’agit de continuer le « business as usual » grâce à l’économie bleue et verte.
Il n’est pas surprenant dans ces conditions que Loïc Fauchon, PDG de la société des Eaux de Marseille – filiale de Veolia, président honoraire du Conseil mondial de l’eau et rapporteur spécial de l’ONU sur l’eau, s’enthousiasme des résultats de la COP22 et déclare dans la novlangue qui est désormais celle des multinationales de l’eau : «finance, connaissance, et gouvernance s'imposent comme les trois piliers d'un accès à l'eau efficient, transparent et durable ». Beau comme du Verlaine, mais pas sûr que les peuples et les milieux aquatiques y trouvent leur compte entre technicisme et business.
La COP22 va accoucher en France de plusieurs événements dans le domaine de l’eau et du climat, car, selon Loïc Fauchon, « Chacun a sa part à faire maintenant puisque la conscience du problème est désormais acquise ». Ainsi, le 14 décembre, l’association 4D, le LEESU et France Libertés, organisent une conférence « Réinventons l’eau en ville » au Pavillon de l’Eau à Paris. Selon les organisateurs, « experts, élus, étudiants, architectes, urbanistes et associations se rencontrent pour dessiner les ambitions des villes durables en Ile-de-France, réconciliées avec l’eau ».
Paris est une des métropoles européennes dont la gestion des eaux pluviales est la plus déficiente avec Barcelone et Thessalonique. Paris ne dispose pas d’un réseau séparatif ; les eaux de pluie sont collectées dans le même réseau que les eaux usées. Ce réseau unitaire est sous-dimensionné, ce qui oblige à déverser les eaux non traitées dans la Seine et ses affluents dès qu’il y a une pluie un peu forte. Pas terrible pour la reconquête de la qualité de l’eau et les baignades dans la Seine. Le ruissellement de l’eau lié à la densité du bâti et aux sols fortement imperméabilisés dans la capitale n’arrange évidemment pas la situation. Après l’avoir longtemps ignoré, la ville de Paris semble décidée à s’attaquer au casse-tête de la gestion des eaux pluviales. Mais les premières annonces ne sont absolument pas à la hauteur des enjeux : créer de petites trames vertes dans les rares endroits où c’est possible n’aura qu’un effet marginal sur la gestion des eaux pluviales. L’économie bleue et verte va néanmoins carburer plein pot à travers les appels à projets et l’assistance à maître d’ouvrage par des bureaux d’études qui vont profiter de l’aubaine.
Est-ce que la conférence du 14 décembre permettra des avancées sur l’eau dans la ville et notamment à Paris ? Il est permis d’en douter à la vue des organisateurs et des intervenants, qu’ils soient associatifs, élus ou représentants de bureaux d’études, tous adeptes plus ou moins déclarés de l'économie bleue et verte.
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