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Un village roumain refuse de devenir une mine d’or

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JONAS MERCIER

En Roumanie, le projet d’exploitation du plus grand gisement d’or de l’Union européenne prévoit de rayer un village de la carte.

Le projet est contesté pour des raisons environnementales : du cyanure est utilisé pour extraire le métal précieux. Une poignée d’habitants veut résister. La colère monte également dans tout le pays. En parcourant une petite rue caillouteuse de Rosia Montana, les souvenirs reviennent à la mémoire de Sorin Jurca.« Nous jouions au football dans cette cour. Et après le repas, les anciens se mettaient à chanter »,  lâche-t-il.

Tous ces endroits qui ont marqué son enfance sont à présent vides. « Dans cette maison vivait ma tante, dans celle-ci un oncle , énumère-t-il. Lui, il a vendu sa maison rapidement. J’ai essayé de le convaincre de rester, mais il s’est dépêché de signer. Il n’a pas résisté à la tentation de l’argent. » La cinquantaine passée, Sorin est aujourd’hui le dernier de la famille Jurca à vivre à Rosia Montana. Ce petit coin de paradis de 4 000 âmes niché au cœur des Carpates occidentales s’est transformé en quelques années en un village maudit.

Un projet de mine à ciel ouvert prévoit en effet de raser une partie de la commune et des montagnes entières aux alentours. Car sous cette nature florissante dorment quelque 300 tonnes d’or et 1 500 tonnes d’argent. Il s’agirait du plus grand gisement en Europe, dont les ressources sont évaluées à au moins une dizaine de milliards d’euros.

Ces estimations ont été faites par la société canadienne Gabriel Ressources, qui tente depuis 1997 d’obtenir les autorisations nécessaires pour débuter les travaux. Jusqu’à maintenant, le ministère de l’environnement a toujours imposé son veto.

LA ZONE ABRITE DES GALERIES ROMAINES DATANT DU IIE SIÈCLE

La seule méthode pour extraire les métaux précieux de ces montagnes est en effet l’utilisation en grande quantité du cyanure. Une fois utilisé pour séparer l’or et l’argent de la roche, ce composé chimique, très nocif pour l’environnement et pour l’homme, doit être stocké dans « des lacs de décantation étanches ». 

C’est du moins ce qu’assure la compagnie. « Ce sont des histoires pour les imbéciles , répond Eugen David, habitant de Rosia Montana et président de l’association Alburnus Maior. Les exemples d’accidents ne manquent pas pour contredire ces balivernes. » 

Pour lui, comme pour les habitants de Rosia Montana, opposés à ce projet, le principal problème n’est pourtant pas lié à l’environnement, mais à leur expropriation. « Nous voulons vivre ici et c’est notre droit. Nous ne bougerons pas, même s’ils obtiennent toutes les autorisations », enchaîne-t-il. Le projet est également contesté par des associations de défense du patrimoine, car la zone abrite des galeries romaines datant du IIe  siècle, présentées comme uniques en Europe.

LES INTÉRÊTS EN JEU SONT COLOSSAUX

Cette lutte semble pourtant perdue d’avance tant les intérêts en jeu sont colossaux. « En seize ans, nous allons produire ici plus d’or que dans tout le reste de l’Union européenne »,  résume Catalin Hosu, le directeur de communication de Rosia Montana Gold Corporation (RMGC).

Cette société, créée spécialement pour l’exploitation de ce site, est contrôlée à 80 % par les Canadiens de Gabriel Ressources et à 20 % par l’État roumain. À coups de grandes campagnes de communication, elle tente d’attirer l’opinion publique de son côté en vantant les bénéfices pour le pays d’un tel chantier.

« Plus de 3 600 Roumains vont retrouver un emploi »,  « ce projet va apporter quatre milliards d’euros au budget de la Roumanie »,  martèlent les messages publicitaires qui ont envahi la presse ces dernières semaines.

La RMGC, qui sponsorise aussi le club de football local, a déjà réussi à convaincre une partie des villageois de Rosia Montana. Plus de 50 % ont en effet quitté le village en échange de villas confortables qui ont été construites aux frais de l’industriel dans la ville voisine d’Alba Iulia.

Dana Gagyi, la trentaine et mère de deux enfants, n’a pas hésité lorsqu’on lui a proposé une maison en ville contre l’appartement étriqué de l’immeuble communiste dans lequel elle vivait à Rosia Montana.

« QUEL PAYS DÉTIENT UNE SI GRANDE RICHESSE SANS LA METTRE EN VALEUR ? »

« À quoi ça sert d’avoir de l’or sous nos pieds, si l’on meurt de faim ? Dans cette zone, personne n’a de travail,  témoigne-t-elle dans la coquette petite cour de sa nouvelle maison. Les gens ne font plus d’enfants de peur de ne pas avoir de quoi les nourrir ! De toute façon, les jeunes ne restent pas. Ce dont on a besoin, ce sont des emplois. » 

À la fin du mois d’août, Traian Basescu, le président roumain, s’est dit favorable au projet de mine d’or de Rosia Montana, relançant ainsi le débat sur le bien-fondé de cette exploitation. « Quel pays détient une si grande richesse dans ses sous-sols sans la mettre en valeur ? »  s’est-il interrogé, en rappelant la récente envolée du cours de l’or.

De son côté, le ministère de la culture a délivré à la société minière un certificat de décharge archéologique, lui permettant ainsi d’exploiter le sous-sol dans un site classé au patrimoine national.

Quelques jours plus tard, le ministre de l’environnement, Laszlo Borbely, a rappelé que son ministère était prêt à donner son accord quand il sera« convaincu à 100 % que les bonnes pratiques européennes »  sont respectées et que l’environnement n’est pas affecté. Ces récentes déclarations ne sont pas de bon augure pour Sorin Jurca, même si pour lui« l’or ne vaudra jamais plus que son village natal ». 

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Une pétition a déjà recueilli 100 000 signatures 

Les organisateurs de la campagne contre ce projet de mine d’or ont déposé jeudi au Parlement une pétition signée par 100 000 personnes appelant les autorités à ne pas donner leur feu vert à cette entreprise controversée.

Le dépôt des signatures a coïncidé avec la visite en Roumanie d’une délégation de la commission des pétitions du Parlement européen, pour rencontrer notamment des opposants au projet minier de Rosia Montana.

Les adversaires du projet ont également appelé le Parlement roumain à rejeter une proposition de loi autorisant les sociétés minières à procéder à des expropriations au nom de l’État.

JONAS MERCIER, à Bucarest

Source : http://www.la-croix.com/Actualite/S-informer/Economie/Un-village-roumain...

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